Vous avez reçu un SMS, il faut vacciner le gosse…

et mémé contre le tétanos!

En lisant un compte-rendu de la commission chargée du contrôle de la publicité de l’Afssaps (oui, je suis un grand fou et j’aime les expériences extrêmes), je suis tombé sur la discussion suivante (je n’ai copié que ce qui m’intéressait, le produit en question est un vaccin anti-pneumocoque, page 8):

Cette publicité présente notamment un système de SMS visant à prévenir les parents de la date du rappel de la vaccination par le vaccin promu. L’inscription au service nécessite ainsi l’enregistrement via le site internet consacré à ce vaccin du prénom de l’enfant, de sa date de naissance et d’un numéro de téléphone portable, afin de recevoir 3 SMS aux âges de 9, 12 et 13 mois.

Il est rappelé à la commission que des projets visant à améliorer l’observance liée aux rappels des vaccins via l’envoi de SMS ont reçu un avis défavorable de l’Afssaps en 2006 et 2007, considérant notamment que :

-les visites systématiques des premiers mois pouvaient pallier le risque de non observance des rappels de la petite enfance,

-le mode de remplissage par les parents pouvait être source d’erreur et rendre le support par SMS peu fiable, ce qui augmenterait le risque d’oubli d’un rappel,

-le mode de remplissage nécessitait un ordinateur et un téléphone portable, ce qui pouvait s’avérer non adapté à certaines familles susceptibles d’être concernées par ce problème d’observance,

-ce système pouvait induire une déresponsabilisation des parents qui, attendant les SMS, ne seraient plus attentifs au suivi des informations figurant dans le carnet de santé et ne s’occuperaient pas de gérer les rendez-vous chez le médecin,

-concernant les données recueillies, il n’y avait aucune garantie de la confidentialité et de la non-exploitation de celles-ci,

-enfin, d’une manière générale, ces systèmes ne donnaient pas l’assurance de favoriser l’observance des rappels.

Ainsi, le projet évoqué aujourd’hui soulève-t-il les mêmes problématiques que celles soulevées précédemment.

En outre, certaines pièces nécessaires à l’examen du projet de publicité n’ont pas été versées au dossier de demande de visa, telles que le contenu des SMS, la chartre de confidentialité, et aucun avis n’a été demandé à la commission nationale de l’informatique et des libertés pour la gestion des données recueillies.

Aussi, le groupe de travail propose-t-il de supprimer de cette publicité l’intégralité des références au système de rappel par SMS.

Si l’on fait abstraction des considérations administratives (chartre, avis CNIL…), je trouve que l’avis est un peu sévère.

Pourquoi pas des rappels électroniques planifiés?

Enfin, d’un autre côté, je ne fais pas beaucoup de vaccins, je suis probablement pas le plus apte à juger…

Ceux qui en font en pensent quoi?

Mince mais pas zen

Je suis certain que les chroniques de la Commission vous manquaient depuis la dernière note sur le Gardasil®

Un compte-rendu vient juste d’être publié, le 9 novembre, pour être précis.

Ici, la Commission ne s’est pas intéressée aux médicaments, mais aux « Objets, appareils et méthodes ».

Page 3, une méthode vantée par un institut est sur la sellette.

Cet institut utilise un appareil à infra-rouge, commercialisé par une société qui était déjà passée devant la commission en 2008. L’épaisseur de l’argumentation scientifique apportée par la société avait alors de quoi impressionner la Commission:

Le dossier justificatif fourni par Neuf Energie concernant notamment l’appareil GMP 4.14 comprenait :

– des études dans des domaines non concernés par les allégations relevées dans la mise en demeure,

– des posters en espagnol résumant des études dont les résultats ne sont pas interprétables (résultats illisibles, nombre de sujets inclus non précisé ou très faible, pas d’analyse statistique etc…),

– des études sur l’animal ou in vitro,

– une liste de références bibliographiques (références d’ouvrage, compte-rendu de congrès, études dont aucune ne concerne l’appareil GMP 4.14)

C’est dommage, car les publicités de l’institut utilisant cette petite merveille de technologie avaient de quoi faire rêver le chaland:

Sur l’annonce presse :

– « détoxifie [le corps] »

– « Une séance permet de consommer jusqu’à 800 calories »

– « Les ondes produisent une accélération métabolique intense (…) tout en éliminant les toxines, les acides gras grâce à une meilleure circulation sanguine »

– « élimination des toxines grâce à une meilleure circulation sanguine »

– « Moins de toxines »

Sur le site internet :

– « La circulation du sang est activée, le drainage des toxines et la fonte des graisses s’effectuent (entre 800 et 1000 calories brûlées par séance(…)) »

– « déstocker les graisses, éliminer les toxines »

– « douleurs articulaires »

– « lutter contre (…) le stockage des graisses et l’accumulation des toxines »

– « brûler les graisses. Sans faire d’effort, vous parvenez à des résultats identiques à ceux qui nécessitent une grande dépense physique »

Ben oui, ben non:

A l’issue des délibérations, il est procédé à un vote à main levée, au terme duquel la Commission se prononce à l’unanimité des membres présents (15 votants) en faveur d’une interdiction de l’ensemble des termes précités.

Depuis, l’institut est allé détoxifier ailleurs:

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Compte-rendu de la Commission de contrôle de la publicité en faveur des objets, appareils et méthodes présentés comme bénéfiques pour la santé (09/11/2010).

Presse médicale et support promotionnel (2)

J’l’écris, j’l’écris pas…

J’avais déjà écrit une note sur ce sujet en septembre dernier, mais la lecture des comptes-rendus de la Commission de Contrôle de la publicité et de la diffusion des recommandations sur le bon usage des médicaments de l’Afssaps est toujours aussi excellentissime et informative.

En plus, vous allez voir, on retrouve les ingrédients typiques des sitcoms: mêmes protagonistes, comique de situation, comique de répétition, réparties qui fusent et qui font mouche.

On retrouve donc notre commission aux dates du 19 mai 2010 et 23 juin 2010, avec sur la sellette, un supplément de….de….. Impact Médecine!

Décidément, quelle popularité!

Je vous avais dit, les mêmes, avec de nouveaux gags.

Petit changement de casting, à la place de Novartis, dont l’éthique est notoire, on retrouve nos amis de Sanofi Pasteur MSD.

Même problème que la dernière fois, donc. Doit-on qualifier le supplément spécial congrès Papillomavirus et vaccination HPV : les nouvelles données de publicité vantant le Gardasil®?

L’Afssaps pense que oui:

Par conséquent, de par sa présentation axée sur le seul vaccin GARDASIL, non représentative de l’ordre du jour de ce congrès qui couvrait de nombreux domaines de recherche sur les Papillomavirus (vaccins prophylactiques, vaccins thérapeutiques, données épidémiologiques liées aux infections à HPV, thérapeutiques expérimentales, biologie moléculaire…), le développement d’informations uniquement favorables à ce vaccin et le soutien financier du laboratoire exploitant cette spécialité, ce document vise bien à promouvoir le vaccin GARDASIL. En ce sens, ce document répond à la définition de la publicité telle que mentionnée à l’article L.5122-1 du code de la santé publique « On entend par publicité pour les médicaments à usage humain toute forme d’information, y compris le démarchage, de prospection ou d’incitation qui vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de ces médicaments ». Or, ce document n’a pas été déposé auprès de l’Afssaps, ce qui ne respecte pas les dispositions de l’article L.5122-9 du code de la santé publique qui stipule « la publicité pour les médicaments auprès des professionnels de santé habilités à prescrire ou à dispenser des médicaments ou à les utiliser dans l’exercice de leur art doit faire l’objet dans les huit jours suivants leur diffusion d’un dépôt auprès de l’Afssaps ». De plus, les mentions légales sont absentes, ce qui n’est pas conforme à l’article R.5122-8 du code de la santé relatif aux mentions obligatoires.

Par ailleurs, l’agence reproche à ce supplément de contenir plein d’allégations scientifiquement tendancieuses  ou hors AMM.

Petit florilège:

Le premier paragraphe, intitulé « une efficacité qui se maintient sur le long terme », met en exergue un maintien de l’efficacité à long terme, sur la base d’une étude réalisée avec un vaccin monovalent HPV 16 au cours du temps après 8,5 ans de suivi en moyenne. Or, d’une part, ces données concernent un autre vaccin que GARDASIL et ne peuvent être étendues à celui-ci, contrairement à ce qu’affirme le double titre de la page et d’autre part, les seules données d’efficacité validées dans l’autorisation de mise sur le marché de GARDASIL se limitent à une durée maximale d’évaluation de l’efficacité de 4,5 ans. Des études de suivi à long terme sont en cours. Aussi, cette présentation n’est pas objective.


Des chiffres non référencés faisant état de nombres de jeunes filles à vacciner pour éviter 1 cas de cancer invasif, de CIN2/3 et de condylome génital sont présentés dans cette rubrique. Or, en l’état actuel des données, il n’y a pas d’étude démontrant un effet préventif de la vaccination sur la survenue des cancers, le délai entre l’infection et l’apparition d’un cancer invasif étant estimé à 15 à 25 ans. L’AMM de GARDASIL précise à cet égard que les néoplasies intra-épithéliales (CIN) de grade 2/3 (dysplasies modérées à sévères) et les adénocarcinomes in situ (AIS) ont été utilisés comme marqueurs de substitution du cancer du col de l’utérus. L’avis de la commission de la transparence en date du 18 avril 2007 précise d’ailleurs dans la rubrique ASMR que l’effet préventif de GARDASIL sur la survenue des cancers du col de l’utérus n’est pas démontré actuellement. De même, l’avis du Comité technique des vaccinations (CTV) et du Haut conseil de santé publique (HCSP) du 9 mars 2007 relatif à ce vaccin, mentionne que « l’impact du vaccin sur l’incidence et la mortalité du cancer du col utérin ne deviendra apparent qu’à long terme, dans 15 à 25 ans ». S’agissant des chiffres concernant les cas évités de CIN2/3 et de condylomes, ils ne sont pas associés à une durée de suivi et ne sont pas validés par l’AMM de GARDASIL. Ainsi, ce document présente des données non validées par l’AMM de GARDASIL.

La ligne de défense d’Impact Médecine et de la firme laisse un peu de côté la justification de ces allégations (pouvaient-ils faire autrement?) pour se focaliser sur la qualification de ce document:

Le laboratoire Sanofi Pasteur MSD (SPMSD) explique ses pratiques et procédures quand il est sollicité pour soutenir financièrement des numéros spéciaux congrès édités par des revues médicales et estime que ses pratiques sont conformes aux recommandations de l’Afssaps en vigueur. Selon SPMSD, ces documents n’entrent pas dans le champ de la publicité, et dès lors, ils ne sont pas soumis à la validation du pharmacien responsable, ne font pas l’objet d’un dépôt a posteriori à l’Afssaps au titre de la publicité et leur utilisation est proscrite en promotion. Après avoir rappelé les recommandations de l’Afssaps « réunions et congrès », SPMSD considère que le numéro spécial congrès d’Impact médecine est conforme en tous points aux recommandations qui encadrent la réalisation de comptes rendus de congrès, soulignant entre autres points, le fait que le document n’a jamais été utilisé en promotion et n’a pas fait l’objet d’une diffusion répétée par le journal.

Le directeur de publication Impact médecine, convié par la firme, explique que les abonnés de cet hebdomadaire sont principalement des médecins généralistes, que ce journal couvre des congrès internationaux pour informer ses lecteurs de l’actualité de la médecine et des avancées de la recherche, dans le respect des recommandations de l’Afssaps. L’ « international Papillomavirus Conference » est le plus important congrès mondial sur le HPV. Il précise que les sources proviennent intégralement de présentations effectuées lors du congrès principal et non de manifestations annexes et que le numéro spécial congrès faisait partie intégrante de la publication qu’il accompagne dans un même envoi. Le directeur de publication explique qu’il a utilisé le nom de GARDASIL parce qu’il est connu et reconnu comme le nom du vaccin HPV. Il a d’ailleurs fait l’objet d’une recommandation préférentielle des autorités de santé. Enfin, le directeur conclut qu’il a sollicité le soutien financier du laboratoire Sanofi Pasteur MSD, et qu’il l’a signalé pour les lecteurs en 1ère page du compte rendu.

Ok, les gars, on résume les arguments pour voir si on a tout bon.

C’est un supplément financé par SPMSD, qui fait la synthèse d’un congrès scientifique international sur le HPV afin d’informer le corps médical, et c’est un hasard complet et incroyable si ce supplément parle exclusivement de manière dithyrambique et imaginative du Gardasil®, commercialisé par SPMSD, et pas du vaccin de la concurrence. Ce n’est donc pas un supplément à caractère promotionnel.

Ceci est un reportage sur les dernières avancées techniques issues des laboratoires de recherche en terme de sécurité passive automobile:

Le fait que Seat ait financé cette enquête journalistique est un hasard complet et incroyable. Ce n’est donc pas une publicité (même si on peut y voir un acteur qui tourne souvent des pubs).

Ça passe à votre avis?

Pour le Gardasil®, ça n’a pas passé:

Un membre de la commission souligne que le manque d’objectivité de ce document sous bannière GARDASIL est l’élément clé conduisant à le qualifier de promotionnel. Il s’étonne par ailleurs que le process de validation par le laboratoire ne prévoie pas de travailler sur un document formaté. La représentante du directeur général de l’Afssaps souligne que la présentation de ce document, intitulé «« Efficacité de la vaccination quadrivalente par GARDASIL. De nouvelles données qui confirment l’efficacité et l’intérêt de la vaccination quadrivalente par GARDASIL », de même que son contenu uniquement consacré à GARDASIL, s’apparente plus à un publi-rédactionnel qu’à un compte-rendu de congrès dans la mesure où, par ailleurs, ce congrès se déroulait sur sept jours au cours desquels plus de 150 communications ont été réalisées, parmi lesquelles ont été extraites une dizaine de communications sur GARDASIL. De plus, elle souligne que l’argument selon lequel les études mises en avant sont celles de l’AMM, comme spécifié par le laboratoire n’est pas un argument opérant dans le contexte d’un compte-rendu de congrès. Un représentant de la presse ajoute que ce numéro, se limitant à trois pages, ne ressemble pas à un spécial congrès, de telles éditions spéciales étant en général plus étoffées. Un membre de la commission souligne que le titre consacré à GARDASIL s’étale sur deux pages. Suite à l’argumentaire de la firme, dont la commission a pris acte, il est procédé à un vote à main levée dont les résultats, sur 21 votants, sont les suivants :
– 18 voix en faveur d’une interdiction,
– 3 voix en faveur d’une mise en demeure,
– 0 abstention.

Quelle est la moralité de tout ça? Il n’y en a aucune. Comme souvent, il existe un hiatus énorme entre ce que voudraient nous faire croire certaines firmes et certains titres de la presse médicale française. Ils voudraient nous faire croire en leur professionnalisme, en leur honnêteté scientifique, en leur éthique, en la robustesse de leur processus de validation… Alors qu’ils se font gronder comme des chenapans attardés qui nient alors qu’ils ont les mains encore couvertes de confiture. Ce serait tellement drôle si cette presse ne représentait pas une partie non négligeable de l’information médicale.

Je vous rappelle que selon un texte tiré des Carnets de Santé:

Une étude publiée par les Cahiers de sociologie et de démographie médicale montre une nouvelle fois que la presse médicale est un élément essentiel de la formation continue des médecins (FMC) : elle est citée par 84 % d’entre eux comme moyen de FMC, devant la participation à un congrès médical (73 %), la lecture de manuels (72 %), l’internet (66 %) et les séances de FMC organisées par les associations professionnelles (51 %). On notera au passage que la formation par groupes de pairs, fortement encouragée par la HAS, n’est citée que par 19 % des généralistes et 25 % des spécialistes. En moyenne, les médecins consacrent 2,9 heures par semaine à la lecture d’une publication médicale (2,6 pour les généralistes, 3,2 pour les médecins exerçant en centres de santé). Ce temps de lecture a diminué durant les trente dernières années (4,3 heures en 1977).

Cependant, un sondage téléphonique réalisé pour la revue Pharmaceutiques (à destination des acteurs de l’industrie pharmaceutique) en janvier 2009 montre qu’en ce qui concerne l’information sur les médicaments, c’est la visite médicale qui est plébiscitée, la presse médicale venant loin derrière (elle n’est citée que par 20 % des 188 médecins interrogés). Les séances de FMC organisées par les laboratoires seraient plus appréciées que les séances associatives (79,2 % versus 73,3 %), ce qui est en complète dissonance avec les données de l’étude précédente (59-47 % versus 37-34 %). Autre curiosité : alors que les recommandations de la HAS (Haute autorité de santé) sont fréquemment accusées d’être difficiles à lire, 94 % des sondés les déclarent « très compréhensibles » ou « compréhensibles ».

 

Dans ce même compte-rendu (page 8), on trouve aussi une audition intéressante de Servier (qui pour le coup passerait presque pour une firme de calvinistes obsessionnels et rigoristes) pour une publicité sur un traitement de l’ostéoporose.

Je vais vous raconter une histoire amusante sur cette commission. En 2008, je suis tombé par hasard sur un appel à candidature comme expert externe auprès de l’Afssaps. A l’époque, comme maintenant, je m’intéressais beaucoup à la communication des firmes pharmaceutiques. Je voulais donc postuler auprès de cette commission de contrôle de la publicité. Mais comme je suis d’un naturel timide et pas du tout sûr de moi (je sais, ça ne se voit pas dans ce blog, c’est une illusion totale), j’ai demandé conseil à un agrégé que j’apprécie énormément et qui travaille toujours pour l’Afssaps. Il m’a dit que c’était une bonne idée, et que je pouvais présenter ma candidature, car l’agence cherche en général des experts externes cliniciens, pas forcément agrégés, pas forcément auteurs d’articles pour le NEJM (je n’ai jamais rien publié). Mais il a rajouté que cette commission était très chiante, et m’a déconseillé de postuler, ce que j’ai fait.

Et bien, avec le recul, cette commission est tout sauf chiante. Les débats sont intéressants et elle sert de garde-fou afin de canaliser les débordements imaginatifs des commerciaux des firmes pharmaceutiques. Quand on voit les dossiers qui passent devant elle, imaginez si elle n’existait pas….

Malgré cela, je ne regrette pas de ne pas avoir postulé, car si par le plus grand des hasards j’avais été pris, je n’aurais pas pu vous relater ses chroniques.

°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°

Commission de Contrôle de la publicité et de la diffusion des recommandations sur le bon usage des médicaments. Réunion du 23 juin 2010.

 

Edition du 31/10/10: rajout du paragraphe Quelle est la moralité?… et la référence aux Carnets de Santé. Quelques modifications ça et là.


Diarrhée et éthique

J’espère que je ne vous barbe pas trop avec ces histoires de publicités pour médicaments, mais les compte-rendus de la commission de la publicité de l’Afssaps devraient avoir une place de choix dans le Panthéon de l’humour médical. Pas tellement parce que le travail de la Commission prête à sourire, mais plutôt pour la formidable galerie de pieds-nickelés qui passent de temps en temps devant elle.

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Hier, je vous narrais comment Novartis avait financé un supplément d’Impact Médecine sur le valsartan, sans penser que cela pouvait être de la publicité, sans avoir eu connaissance de son contenu et surtout sans savoir qu’elle l’avait distribuée à ses propres visiteurs médicaux.

A l’insu de son plein gré sur toute la ligne, pourrait-on dire….

Le dernier compte rendu de la commission disponible sur le site de l’Afssaps relate une mésaventure semblable, survenue à un fabricant d’un anti-diarrhéique connu qui a distribué à l’insu de son plein gré, là-aussi, un prospectus vantant son produit phare à son stand au cours d’un congrès de la SNFGE.

Ce prospectus, pourtant notoirement publicitaire n’a pas été visé par l’Afssaps.

Justification du laboratoire:

En préambule, le laboratoire rappelle qu’Axcan Pharma SAS est la filiale française d’Axcan Inc., société canadienne créée en 1982. A ce titre, le laboratoire précise que l’ensemble des spécialités dont il exploite l’AMM sont commercialisées partout dans le monde, en particulier LACTEOL, fabriqué en France et distribué dans près de 40 pays. A propos de la brochure LACTEOL litigieuse, le laboratoire ajoute qu’il s’agit d’une synthèse des connaissances se voulant exhaustive dans la mesure où des données relatives au procédé de fabrication et les résultats de nombreuses études pharmaco-cliniques y sont colligés. Elle a ainsi été élaborée à des fins d’information interne et d’exploitation des données à l’international. Le laboratoire souligne ainsi que la diffusion de la brochure, par erreur, sur le stand AXCAN lors du Congrès de la Société nationale française de Gastro-entérologie (SNFGE) de mars 2009 n’avait pas vocation à promouvoir LACTEOL auprès des professionnels de santé français, ceci expliquant l’absence de mentions légales et le fait qu’elle n’ait pas fait l’objet d’un dépôt auprès de l’Afssaps.

Cette explication alambiquée n’a pas fait rire la Commission:

L’Afssaps précise qu’en tout état de cause, la brochure a bien été diffusée sur un stand du laboratoire, qui est un espace promotionnel, dans le cadre d’un congrès se déroulant en France, et s’agissant du congrès de la SNFGE, essentiellement fréquenté par des professionnels de santé français. Ainsi, la qualification promotionnelle du document ne saurait être remise en cause.

Bon, maintenant, ce n’est pas bien grave, c’est un type du siège social, quelque part au Canada qui a confondu Paris, France, et Paris, Texas.

Ça peut arriver à tout le monde…

Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Ce prospectus est particulièrement exotique en matière de statistiques. Trois exemples parmi d’autres:

– L’étude Boulloche (Ann pediatr. 1994) a comparé, l’efficacité d’une préparation à base de Lactobacillus au lopéramide d’une part et à un placebo d’autre part, en complément de la réhydratation orale. Concernant cette étude, le document allègue page 10 : « Une plus forte proportion de guérison (89,5%) a été constatée avec Lactéol® », suggérant ainsi une supériorité de LACTEOL par rapport au lopéramide et au placebo. Or, l’analyse statistique n’a pas montré de différence statistiquement significative entre le pourcentage d’enfants guéris sous LACTEOL comparativement aux deux autres groupes, ce qui n’est pas précisé. De plus, le pourcentage de guérison était un critère secondaire de l’étude. Concernant les critères principaux, seuls les résultats concernant le délai de survenue de la première selle normale (critère objectif de guérison) sont présentés, mais sans mention des résultats du test statistique (p=0,05) qui permet d’interpréter ces résultats. L’étude comportait par ailleurs deux autres critères principaux ne figurant pas dans le document : le délai de survenue de la dernière selle anormale (pas de différence statistiquement significative entre le groupe LACTEOL et les deux autres groupes) et la durée de la période sans selles (différence statistiquement significative en faveur de LACTEOL par rapport au lopéramide et au placebo). Ainsi, cette présentation partielle des résultats qui, d’une part, ne reprend qu’une partie des critères de jugement principaux tout en mettant en exergue un critère secondaire, et d’autre part, ne précise pas les résultats des tests statistiques, n’est pas objective et n’est pas suffisamment complète pour permettre au destinataire de se faire une idée personnelle de la valeur thérapeutique du médicament.

– Les résultats de l’étude randomisée Salazar-Lindo (J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2007), dont l’objectif était de comparer l’efficacité de LACTEOL à un placebo sont présentés dans le tableau I page 10 comme suit: « Durée de la diarrhée en cas de diarrhée > 24h à l’instauration du traitement : Lactéol® 8,2 h – Placebo 30,4 h (p=0,044) ». Or, cette expression des résultats provient d’une analyse en sous-groupe exploratoire, sans ajustement du risque α. En effet, l’analyse globale (critère principal) n’a pas montré de différence significative entre les deux groupes sur la durée de la diarrhée (16,6 h versus 10,0 h, p=0,275). De plus, la Commission de la transparence précise dans son avis du 29 mars 2006 qu’ « une analyse conduite dans le sous-groupe des diarrhées de plus de 24 heures avec ajustement de p ne montre pas de différence statistiquement
significative ». Cette présentation consistant à sélectionner dans une étude les résultats d’une analyse secondaire exploratoire favorable à la spécialité et méthodologiquement critiquable n’est donc pas objective.

Et l’apothéose, carrément pas d’étude statistique:

– Le document présente les résultats de l’étude Li Xie Bin (Ann pediatr. 1995), dont l’objectif était d’évaluer l’efficacité de LACTEOL versus deux antiseptiques intestinaux (furazolidone et berberine). Or, cette étude présente de nombreuses faiblesses méthodologiques, avec notamment des critères de jugement nombreux, non hiérarchisés et une absence d’analyse statistique des résultats. Enfin, l’utilisation de comparateurs n’ayant pas l’AMM en France compromet l’interprétation des résultats. L’exploitation promotionnelle des résultats de cette étude méthodologiquement critiquable n’est donc pas objective.

Bon, là aussi, ça peut arriver.

C’est la faute du rédacteur, toujours le même type du siège au Canada, qui a eu la malchance d’avoir durant son cursus une prof de maths-histoire/géo (les trois matières sont regroupées dans certaines écoles reculées de l’Abitibi-Témiscamingue) toujours absente à cause d’une dépression liée à un remariage houleux…

Et pour ça, on ne peut rien dire, c’est du ressort de la vie privée de cette enseignante, cela ne nous regarde pas.

(Mais bon, comme on y est, elle suspectait son mari d’être Gay car il s’était abonné à une salle de gym sans être intéressé par le sport…). [oui, c’est bien un site satirique]

Bref, revenons à nos moutons…

Cette brochure distribuée au cours d’un congrès s’étant déroulé du 17 au 22 mars 2009 a logiquement été interdite par l’Afssaps à l’issue de deux réunions datées…. du 17 mars 2010 et du 13 avril 2010.

L’agence a alors immédiatement dépêché sur place un fonctionnaire afin de saisir et brûler sur le parvis de la Basilique Saint-Denis les brochures qu’il restait à distribuer au stand du laboratoire.

Dommage qu’à cette Commission, il n’y ait pas eu de représentant du LEEM.

Dommage que le compte-rendu ne relate aucune intervention du représentant du LEEM.

Il aurait probablement invoqué l’éthique notoire du laboratoire, et l’incompétence, notoire elle-aussi, des rares cellules de soutien psychologique du système éducatif de l’Abitibi-Témiscamingue. A son sens, il n’aurait donc pas été très raisonnable de sanctionner ce dossier et il aurait proposé de mettre en place une réflexion afin d’établir des règles de fonctionnement pour le pipotage des présentations d’études scientifiques ou pseudo-scientifiques. Cette réflexion aurait pu être tripartite entre la presse, les industriels et l’Afssaps.

 

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[Avant d’envoyer des messages haineux, sachez que je n’ai choisi le nom de cette région administrative du Québec que parce que son nom m’a toujours plu.]

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