Simenon, que je ne connais pas au delà de 3 romans et d’un recueil de nouvelles a dépeint dans L’affaire Saint-Fiacre (1932) dans un portrait bref mais haut en couleur un médecin de l’époque.
Le Dr Bouchardon dont on ne connaitra jamais le prénom:
Ce fut un soulagement d’entendre le pas lourd du médecin, un bonhomme sanguin que l’atmosphère impressionna et qui regarda tour à tour le commissaire et le curé.
— Morte ? questionna-t-il.
Il n’hésita pourtant pas, lui, à dégrafer le corsage, pendant que le prêtre détournait la tête. Des pas lourds dans l’église. Puis la cloche que le sonneur mettait en branle. Le premier coup de la messe de sept heures.
— Je ne vois qu’une embolie pour… Je n’étais pas le médecin attitré de la comtesse, qui préférait se faire soigner par un confrère de Moulins… Mais j’ai été appelé deux ou trois fois au château… Elle avait le cœur très malade…
[…]
Le docteur Bouchardon était un paysan, fils de paysans. Il portait un costume de chasse brun, des hautes bottes de caoutchouc.
— Je partais au canard dans les étangs…
— Vous n’allez pas à la messe ?
Le docteur fit un clin d’œil.
— Remarquez que cela ne m’empêchait pas d’être copain avec l’ancien curé… Mais celui-ci…
Le trait principal du Dr Bouchardon est tracé en deux lignes, c’est un paysan rougeaud agnostique qui demande à l’assemblée si la patiente est décédée, avant même de constater le décès. On retrouve encore l’absence de répugnance des médecins devant l’intimité. Alors que les prêtres…
— Puisque vous êtes de la police, vous avez déjà dû comprendre la situation… D’ailleurs cet animal de Bouchardon n’a pas manqué de parler… Ma mère était une pauvre vieille… Mon père est mort… Je suis parti… Restée toute seule, je crois bien qu’elle a eu la cervelle un peu dérangée… Elle a d’abord passé son temps à l’église… Puis…
— Les jeunes secrétaires !
Il semble aussi ignorer le secret professionnel…
— Je ne puis que vous confirmer ce que je vous ai dit tout à l’heure. La mort est due à un arrêt brusque du cœur.
— Provoqué par ?…
Geste vague du médecin, qui jeta une couverture sur le cadavre et rejoignit Maigret à la fenêtre, alluma sa pipe.
— Peut-être par une émotion… Peut-être par le froid… Est-ce qu’il faisait froid dans l’église ?
— Au contraire ! Bien entendu, vous n’avez trouvé aucune trace de blessure ?
— Aucune !
— Pas même la trace à peine perceptible d’une piqûre ?
— J’y ai pensé… Rien !… Et la comtesse n’a absorbé aucun poison… Vous voyez qu’il serait difficile de prétendre…
C’est certain que son diagnostic n’est pas fin-fin. C’est probablement à son attention que les papiers bleus comportent les précisions suivantes: la mort doit être réelle et constante, et il ne faut pas marquer « arrêt du cœur » dans les causes. Par contre il a pensé à rechercher la trace d’une injection…
Ou bien il était idiot, ou bien il le faisait. Maigret était nerveux. Il aperçut Maurice de Saint-Fiacre qui se tenait dans le fond de la nef.
— Qui s’est approché de ce banc ?
— La femme du docteur occupait cette place à la messe de sept heures…
— Je croyais que le docteur n’était pas croyant.
— Lui, peut-être ! Mais sa femme…
Le pauvre, quelle mésalliance, d’autant plus que Bouchardon est un mécréant militant. Les débuts de repas devaient être tendus à la maison.
Et le docteur dut dire la même chose au secrétaire qu’il entraîna jusqu’au moment où il put lancer :
— Bonjour, monsieur le curé ! Vous savez ! Je suis en mesure de vous rassurer… Tout mécréant que je sois, je devine votre angoisse à l’idée qu’un crime a pu être commis dans votre église… Eh bien ! non… La science est formelle… Notre comtesse est morte d’un arrêt du cœur…
[…]
Le prêtre et le docteur marchaient devant et Maigret entendit la voix du médecin qui disait :
— Mais non, monsieur le curé ! C’est humain ! Archi-humain ! Si seulement vous aviez fait un peu de physiologie au lieu d’éplucher les textes de saint Augustin
Je vous disais, un vrai mécréant…
Le docteur, aidé de la femme de chambre, avait fait la toilette du cadavre.
Curieux que le médecin aide à la toilette.
Il pressa un bouton électrique. Le maître d’hôtel se fit attendre longtemps, arriva la bouche pleine, sa serviette à la main.
Saint-Fiacre lui arracha celle-ci d’un geste sec.
— Vous ferez venir le régisseur… Ensuite vous me demanderez au téléphone le presbytère, puis la maison du docteur.
Le médecin a un des rares téléphones privés du village, avec le châtelain, et le prêtre. Il compose avec eux le corps des notables (Simenon fait aussi allusion à un notaire, malheureusement décédé).
— Le plus triste, ici, ce sont les longues soirées d’hiver, n’est-ce pas ?… De mon temps, je me souviens que mon père avait l’habitude d’inviter, lui aussi, le docteur et le curé… Ce n’étaient pas les mêmes qu’à présent… Mais déjà le docteur était un mécréant et les discussions finissaient toujours par rouler sur des sujets philosophiques… Voici justement le…
C’était le curé, les yeux cernés, l’attitude compassée, qui ne savait que dire et qui restait hésitant sur le seuil..
C’est assez drôle et intéressant de lire dans des romans « de l’époque » la vision qu’avaient les gens des médecins.
Simenon a écrit une série de 13 nouvelles publiée en 1943, dont le héros est un médecin de Marsilly (en Charente-Maritime). Le Petit Docteur est un recueil agréable à lire, mais le héros aurait pu être garagiste ou notaire, tellement Simenon lui donne peu de relief et de caractéristiques « médicales ». Le médecin est là encore un notable avec une voiture, une ligne téléphonique et une cuisinière à son service. Il aime aussi les femmes et boire.
Finalement, peu de choses ont changé, hormis l’utilisation des portables…
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