J’ai encore vu passer aujourd’hui un patient déambulant, sans traitement anticoagulant, adressé par les neurologues pour une recherche de thrombose veineuse profonde pouvant expliquer une embolie paradoxale responsable d’un accident vasculaire cérébral récent.
Cela ne s’invente pas, le patient était en bermuda/caleçon long et tongs.
Je me suis demandé si je devais appeler l’interne de neuro prescripteur.
Que lui dire, qu’est-ce que ça va changer…
Finalement, je l’ai fait. Elle est bien conscience de l’aberration, mais son assistant(e) lui a demandé de faire descendre les patients à pied, (en tongs), et sans anticoagulant.
L’interne a discuté, mais s’est heurtée à deux arguments irréfutables:
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L’examen clinique ne montre rien, donc faible probabilité de thrombose veineuse profonde, mais on fait quand même l’examen.
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Si on devait attendre les brancardiers, et bien…
Le premier argument est à la fois pertinent et non pertinent.
La performance de l’examen clinique est notoirement mauvaise dans le diagnostic des thromboses veineuses profondes:
Les signes cliniques de TVP ne sont pas fiables, entraînant autant de diagnostics par excès que par défaut (sensibilité et spécificité voisines de 50 %). (source).
L’absence de signe clinique ne classe donc pas le patient dans le groupe des faibles risques cependant, cela pousse avec raison à aller plus loin en demandant de réaliser par exemple un doppler veineux. Maintenant, on peut discuter sans fin de l’intérêt de rechercher systématiquement une thrombose veineuse chez un patient porteur d’un FOP qui a présenté un accident vasculaire cérébral. Je serais tenté de dire que plus le patient est jeune, plus cela a d’intérêt.
Maintenant, l’argument du brancardage.
Là où commence le brancardage, la science s’arrête. C’est imparable.
A Marseille, au CHU, le brancardier est imperméable à tout. Chaque nomination se joue dans les hautes sphères politiques, une fois nommé à vie, ses actions sont régies par des règles non écrites, dont la logique échappe à toute tentative d’analyse et par essence, il est en sous-effectif.
Devant cela, la médecine et ses lois s’inclinent bien bas.
J’ai néanmoins donné un conseil à l’interne. Ce conseil m’avait été transmis par mon premier patron.
Avant de faire quoi que ce soit en médecine, il faut imaginer que cette action, et ses potentielles conséquences négatives soient analysées plusieurs mois après par un tribunal. Le juge et les avocats ne sont pas médecins et on essaye de justifier son action. Non pas les conséquences de l’action qui peuvent être impondérables, mais l’action en elle-même. Ça m’a souvent fait réfléchir, sans tomber d’un autre côté dans l’excès inverse ou l’on ose plus rien faire de peur des conséquences médico-légales.
Tu demandes un doppler pour éliminer une thrombose veineuse profonde qui aurait déjà provoqué une embolie paradoxale. Tu envoies le patient faire un doppler à pied, sans traitement anticoagulant. Il meurt d’une embolie pulmonaire massive au bout du couloir.
Comment justifier cela?
Combien de brancardiers vont venir témoigner à la barre?