Jean-Daniel Flaysakier a écrit une note que je trouve parfaitement juste et équilibrée sur le témoignage poignant de Dave deBronkart.
(Jean-Daniel, mon ami, tu dois te dire, arrivé à ce point qu’il s’agit d’un typique In Cauda Venenum, mais rassure toi, ce n’est pas le cas, en tout cas pas totalement 😉 )
J’ai presque eu la larme à l’œil quand Dave deBronkart a montré la photo de mariage de sa fille. En tout cas j’avais une oppression thoracique sans irradiation dans le bras gauche ni entre les omoplates.
Son histoire tout à fait édifiante place au pinacle le web 2.0 comme outil permettant à des patients de participer au traitement de leurs proches ou d’eux mêmes.
Mais ce récit, comme tout récit édifiant, doit être vu d’un œil objectif, en tout cas débarrassé des poussières larmoyantes et de ses reflets chatoyants à l’œil, et surtout replacé dans son contexte.
Vous voulez lire une histoire contra-édifiante instantanée sur ce sujet précis? Collez mon néphrologue préféré sur scène, et il vous fera aussi venir la larme à l’œil (et la précordialgie).
Mais ce ne sont que des cas particuliers qui ne reflètent en rien la réalité des patients que nous voyons tous les jours.
(source indirecte 😉 )
Primo, la volonté farouche de certains patients de prendre part à leurs soins, notamment en cas de maladie grave ou chronique, ne date pas du web 2.0, ni même du web tout court. Rappelez-vous l’histoire qui a inspiré le film Lorenzo’s Oil. Elle date de la préhistoire (c’est à dire avant la généralisation d’Internet), en 1984.
Internet est un formidable outil mais qui n’est que l’amplificateur du désir atavique d’en savoir plus sur sa maladie pour mieux la combattre. Epidaure a été fondée bien avant Mountain View.
Et encore. La majorité des patients ne veulent rien savoir et avalent consciencieusement (ou non) depuis des années des pilules de différentes couleurs dont ils ne savent strictement rien. Et ce n’est certainement pas moi qui souhaite les maintenir sous ma coupe en cultivant leur ignorance.
Une part non négligeable n’a tout simplement pas les outils pour comprendre (je vais recevoir des pierres, mais c’est un constat de tous les jours).
Hier j’ai vu une patiente qui revient du bled. je la suis très régulièrement pour un anévrysme de l’aorte thoracique pas encore mûr mais qui grossit. Elle est hypertendue. J’ai parlé de cet anévrysme et de sa tension x fois avec elle et avec sa famille. Je l’ai même fait hospitaliser pour mieux la contrôler. On se fait la bise et à la fin du Ramadan j’aurai des gâteaux (miam). Savez-vous pourquoi elle est passé me voir? Son ordonnance était périmée depuis 10 jours et elle ne prenait donc plus son traitement. Elle avait 180/95.
Ce n’est pas une e-patiente, et elle n’animera probablement pas de conférence TED ni ne suivra #hcsmeufr (et pourtant je l’aime). C’est une patiente, sans préfixe, comme il y en a des milliers, des millions.
Une bonne part des patients n’a pas d’accès à internet (quoi qu’en disent les sondages réalisés sur internet sur un échantillon représentatif de patients).
Le e-patient typique est un patient éduqué, plutôt jeune, probablement plus urbain que campagnard. Il possède éventuellement un téléphone intelligent, voire un iPad. Il était plus Windows que iOS, mais c’est en train de changer. Il se demande en ce moment comment imprimer directement à partir de son iPad alors que son imprimante n’est pas compatible AirPrint. Je généralise, n’est-ce pas? mais mon e-patient est aux e-patients ce que Dave deBronkart est aux patients.
Bref, le genre de patients qui donnent des conférences pour TED.
Ben, même en réfléchissant pas mal, je n’ai pas beaucoup de e-patients. Et pourtant, je suis un e-médecin!
(Gardez ce programme, il est de collection, les organisateurs ne m’ont tout simplement pas invité. Mouhahahahahaha)
Et vous, les e-confrères?
Si vous êtes des patients et si vous lisez ces lignes, c’est que vous êtes parmi les rares e-patients. (Ben non, on est pas rares, on est très nombreux et on se rencontre tous les jours! Et vous vous rencontrez où? Ben, sur Google+ et Twitter, pfff…)
Nous nous extasions tous sur cette conférence TED, mais regardons-nous, nous sommes tous des e-patients ou des e-médecins. Et nous sommes une infime minorité.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire pour orienter et améliorer la prise en charge des patients, notamment les patients en devenir qui sont nés avec internet. Le temps joue en faveur de la e-médecine, et c’est une très bonne chose.
Mais je souhaite simplement dire qu’une fourmi regardée à la loupe reste une fourmi, et que l’éléphant qui est juste à côté mérite aussi tout notre intérêt (et les financements qui vont avec).
(Source)
Dieu sait (et vous aussi si vous me lisez depuis longtemps) comme je respecte mes patients, même si ils sont plus moutons de Panurge que e-. Je parle avec eux (je déteste le terme éduquer), j’essaye de les orienter. Mais j’en rencontre très très peu à qui je pourrais parler des pièges de l’internet mais aussi de la formidable potentialité qu’il offre pour en apprendre plus sur sa maladie et ainsi mieux la combattre, ensemble.
Tout est dans ce dernier mot.
Mais comme nous sommes des e-médecins et des e-patients, qui voyons des fourmis géantes, puisque nous lisons/écrivons ces lignes tapées sur WordPress et que nous suivons les conférences TED, j’aimerais y rajouter « au quotidien ».