Rapport de l’Igas sur l’affaire du Mediator

Le rapport de l’Igas est disponible au téléchargement ici.

Les annexes le seront un peu plus tard.

Je suis impressionné par la qualité de l’écriture, la synthèse est notamment remarquable.

Pour le fond, ce rapport est impitoyable envers l’Afssaps, la pharmacovigilance et les laboratoires Servier, et d’un point de vue un peu plus général sur la proximité des agences sanitaires et des firmes. Par moment, j’ai cru lire Prescrire.

Pour motiver les flemmards, ou ceux qui ne sont pas trop intéressés par le sujet (mais c’est vraiment dommage), voici l’intégralité de la conclusion qui reflète bien la tonalité globale de ce rapport:


CONCLUSION

Parvenue au terme de son travail, la mission, avant même de présenter quelques enseignements et pistes de réflexion, tient à mettre en avant les éléments les plus importants du constat dressé dans ce rapport :

  • Le déroulement des événements relatés dans ce rapport est très largement lié au comportement et à la stratégie des laboratoires Servier qui, pendant 35 ans, sont intervenus sans relâche auprès des acteurs de la chaîne du médicament pour pouvoir poursuivre la commercialisation du MEDIATOR® et pour en obtenir la reconnaissance en qualité de médicament anti-diabétique. Pour reprendre une expression revenue à plusieurs reprises dans les témoignages recueillis par la mission, elle a « anesthésié » ces acteurs de la chaîne du médicament et même, selon deux anciens présidents de commission d’AMM, elle les a « roulés dans la farine » ;

  • A aucun moment pendant cette longue période, aucun des médecins experts pharmacologues, internes ou externes à l’Agence, n’a été en mesure de conduire un raisonnement pharmacologique clairvoyant et d’éclairer ainsi les choix des directions générales successives ;

  • Surchargée de travail, empêtrée dans des procédures juridiques lourdes et complexes, en particulier à cause de l’articulation de ses travaux avec l’Agence européenne, bridée par la crainte des contentieux avec les firmes, l’Agence est apparue à la mission, dans le cas étudié, comme une structure lourde, lente, peu réactive, figée, malgré la bonne volonté et le travail acharné de la plupart de ses agents, dans une sorte de bureaucratie sanitaire ;

  • Un certain nombre d’anomalies majeures de fonctionnement ont été identifiées, en particulier la confirmation à la firme d’une autorisation de mise sur le marché en 1997, contraire à la décision prise quelques mois auparavant, notification qui n’a pu être prise que sur l’instruction d’un des responsables de la direction de l’évaluation ;

  • Le dispositif de pharmacovigilance a failli à sa mission, qui est d’identifier et d’instruire, dans un délai raisonnable, et afin d’éclairer la décision des responsables sanitaires, les cas d’effets indésirable graves liés à l’usage du médicament. La raison principale de cet échec collectif est à rechercher dans l’insuffisance de culture de santé publique et en particulier dans un principe de précaution fonctionnant à rebours ;

  • Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que l’alerte dans cette affaire soit venue de l’extérieur : de la revue Prescrire, du Dr Irène Frachon, de Catherine Hill et du Dr Alain Weil, pour ce qui concerne la dangerosité du médicament, ce qui a permis son retrait ; et de Flore Michelet et du Dr Gérard Bapt, pour ce qui concerne l’impact en termes de mortalité ;

  • La multiplicité des instances sanitaires chargées du médicament, leur cloisonnement et la complexité de leur fonctionnement rendent le système lent, peu réactif et contribuent à une dilution des responsabilités ;

  • Quant à la politique de remboursement des médicaments dont sont responsables les ministres, elle apparaît sous un jour paradoxal : c’est pour des raisons telles que la défense des prescripteurs et des patients que la politique de déremboursement a été étalée sur presque une décennie. La réalité veut, dans le cas présent, que cet objectif allégué ait conduit au résultat inverse.

Même si la seconde partie de son travail sera consacrée à définir et à présenter les grandes lignes d’un système de pharmacovigilance rénovée, la mission tient d’ores et déjà à mettre l’accent sur quelques enseignements qui lui paraissent essentiels :

  • La sécurité sanitaire est un métier difficile et exigeant. La vigilance sanitaire est une responsabilité fatigante, usante, qui conduit à travailler chaque jour sous la pression. Être vigilant suppose d’être informé, d’être réactif, d’avoir la disponibilité d’esprit nécessaire, de savoir entendre et écouter les opinions minoritaires et d’être capable d’admettre que l’on s’est trompé ou que l’on se fourvoie dans un raisonnement convenu. C’est pourquoi la mobilité des personnes est indispensable dans ce domaine ;

  • L’exercice de ce métier est fortement influencé par l’environnement intellectuel et médiatique. Or, depuis plusieurs années se sont multipliées les prises de position publiques pour dénoncer une hypothétique « tyrannie du principe de précaution ». Dans cette affaire comme dans d’autres passées et malheureusement à venir, ce n’est pas l’excès de principe de précaution qui est en cause mais le manque de principe de précaution ;

  • La chaîne du médicament fonctionne aujourd’hui de manière à ce que le doute bénéficie non aux patients et à la santé publique mais aux firmes. Il en va ainsi de l’autorisation de mise sur le marché qui est conçue comme une sorte de droit qu’aurait l’industrie pharmaceutique à commercialiser ses produits, quel que soit l’état du marché et quel que soit l’intérêt de santé publique des produits en question. La réévaluation du bénéfice/risque est considérée comme une procédure exceptionnelle. La prise en compte du risque nécessite de fortes certitudes scientifiques, l’existence d’un bénéfice étant, elle, facilement reconnue. Dans ces conditions, le retrait d’une AMM est perçu comme une procédure de dernier recours et comme une sorte de dédit pour la commission qui a accordé l’autorisation ;

  • L’Agence est trop souvent caractérisée dans son fonctionnement, par, pour reprendre une expression entendue plusieurs fois, une « accoutumance au risque ». Cette accoutumance est incompatible avec l’exercice d’une mission de sécurité sanitaire ;

  • Le fonctionnement des commissions de l’AMM et de la pharmacovigilance est marqué par la recherche d’un consensus scientifique, ce qui conduit en l’occurrence à un allongement des délais nécessaires à la prise de décision. Le rôle des demandes successives d’études pour alimenter ce processus a des effets pervers graves. C’est particulièrement frappant dans le cas du MEDIATOR® où les laboratoires Servier ont multiplié ce type de démarches. A ceci s’ajoute un légalisme qui, concernant une agence qui prend 80 000 décisions par an, conduit à un enlisement de trop de dossiers ;

  • S’ajoute à ceci, malgré les progrès accomplis dans ce domaine depuis 1993, le poids des liens d’intérêt des experts contribuant aux travaux de l’AFSSAPS (annexe n°). Il s’agit des liens d’intérêts financiers ou d’autres natures tels qu’ils devraient être signalés à l’Agence, ce qui n’est pas à l’heure actuelle systématiquement le cas, selon les déclarations mêmes de l’actuel président de la commission d’AMM. Or ces règles procédurales ont été établies dès 1993 lors de la création de l’Agence. Il n’est que temps de les faire appliquer « sans faille et sans exception » pour reprendre l’expression de Jean Marimbert, directeur général de l’AFSSAPS. Aux yeux de la mission, cette conception des liens d’intérêt doit être élargie. Elle doit d’abord être envisagée dans le temps. Deux des responsables les plus importants de l’Agence, au moins, ont ainsi contracté, après avoir quitté leurs fonctions respectives, des liens financiers avec les laboratoires Servier. Dans ces 2 cas, il s’agissait de professeurs des universités-praticiens hospitaliers, médecins dont le statut les met pour l’heure à l’abri de la commission de déontologie, qui s’est déclarée en 2000 incompétente en la matière. Ceci souligne, et c’est la seconde priorité, la nécessité d’élargir le champ actuel des situations imposant la déclaration de liens d’intérêt. La mission pense souhaitable que tous les agents publics ayant à connaître des questions liées aux médicaments soient tenus de déclarer de tels liens. Il doit en être en particulier ainsi pour les membres des cabinets ministériels. C’est là un point important que devra traiter la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique. De manière plus globale, l’AFSSAPS, qui est une agence de sécurité sanitaire, se trouve à l’heure actuelle structurellement et culturellement dans une situation de conflit d’intérêt. Pas en raison de son financement qui s’apparente à une taxe parafiscale, mais par une coopération institutionnelle avec l’industrie pharmaceutique qui aboutit à une forme de coproduction des expertises et des décisions qui en découlent. A cet égard, la présence encore aujourd’hui d’un représentant institutionnel du LEEM (Les entreprises du médicament) dans les commissions, et parfois les groupes de travail, parait inacceptable.

  • Toutes ces considérations ne doivent pas faire oublier la place décisive qui est celle des diverses communautés scientifiques et médicales dans la construction des décisions publiques. Toutes les décisions prises au sein de l’Agence, mais aussi par la Haute autorité de santé, sont préparées par des experts qui rendent leurs avis. Tous ces médecins sont associés très étroitement au processus de décision. Là aussi de très graves défaillances, pour certaines d’entre elles incompréhensibles, ont été relevées par la mission. Pour prendre l’exemple du MEDIATOR®, il est inadmissible d’avoir programmé en décembre 2010 une table ronde sur « benfluorex et valvulopathies », dans le cadre des journées européennes de cardiologie, présidée par les Prs. G. Derumeaux et B. Iung. Ces deux experts, un an auparavant, avaient été mandatés pour représenter les laboratoires Servier au sein de la Commission nationale de pharmacovigilance et de la commission d’AMM de l’AFSSAPS portant sur le MEDIATOR® (benfluorex). Les présidents de cette table ronde ont depuis décidé de ne pas y participer.

La mission à l’issue de cette première phase, malgré ses critiques sévères à l’égard du système de gestion du médicament, élaborées encore une fois à partir d’un cas particulier, tient à souligner que le système de notification des cas par les professionnels de santé aurait pu permettre le retrait du MEDIATOR® dès 1999 si le principe de précaution s’était appliqué. A ce stade, la mission insiste sur le rôle essentiel des professionnels de santé et des patients qui doivent être davantage associés à ces démarches, pas seulement en ce qui concerne la déclaration des cas. Rappelons que dans d’autres domaines de la santé publique, les patients sont représentés au niveau des conseils d’administration des institutions. La mission s’attachera également, dans sa deuxième étape à mieux caractériser et fiabiliser notamment les outils de la pharmacovigilance, avec une attention particulière apportée aux bases de données disponibles. Malgré les très lourds constats de cette première étape, elle espère pouvoir contribuer à la mise en œuvre d’un système entièrement tourné vers les intérêts du patient et de la santé publique.


De choses et d’autres…

L’actualité est un peu chargée, je vais donc essayer de grouper en une note plusieurs informations que j’ai trouvées intéressantes:

Une série française sur 40 cas de valvulopathies liées au benfluorex (Mediator®) a été publiée et m’a permis d’en savoir pas mal plus sur les lésions observées.

La publication (gratuite pour l’instant) est . Theheart.org en parle ici.

J’ai donc modifié en conséquence la note que j’avais rédigée sur ce sujet.

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Il paraît que la session du congrès de la SFC sur ce même sujet a été agitée. Je crois qu’on en verra plus dans un prochain Envoyé Spécial

Programme « collector » puisque les deux présidents de cette session ajoutée tardivement se sont désistés au dernier moment du fait du scandale Mediator®, et cela malgré son caractère très technique et assurément peu polémique.

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Le Multaq® (dronédarone) fait l’objet d’un communiqué de la FDA au sujet de plusieurs cas de patients sous dronédarone ayant présenté une insuffisance hépato-cellulaire, dont deux ont nécessité une transplantation hépatique aux Etats-Unis.

Hasard ou non? That is the question!

Bon, ça ne change rien pour moi, je continuerai de ne pas le prescrire.

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Pour revenir au Médiator®, demain, l’Igas va remettre son rapport à Xavier Bertrand. J’ai hâte de le consulter (comme beaucoup…)

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A la vitesse où les choses vont, pas certain que ce type de note ne se reproduise pas dans les jours qui viennent (de l’info coco, aucune analyse!)…

 

 

Modification 15/12/2011: ajout de la capture d’écran de la session.

A l’insu de son plein gré

La série de trois articles parus ce jour dans Libération sur le dossier du Médiator est dévastatrice.

Dévastatrice pour le praticien qui accuse Servier d’avoir modifié son diaporama à l’insu de son plein gré, dévastatrice pour Servier et par contiguïté pour l’industrie en général, dévastatrice pour la profession de cardiologue, dévastatrice pour la Société Française de Cardiologie.

La présidente de la SFC a eu une vision profonde en parlant d’infiltration (« Je ne suis pas choquée qu’il y ait des infiltrations des sociétés savantes par les laboratoires ». Le Monde 06/01/11).

Les murs de notre maison commune sont en effet infiltrés, cloqués, noircis, ils se craquellent de toute part.

Comment avons-nous pu à l’insu de notre plein gré, laisser faire cela?

Comment regarder un patient en face après cette mascarade aussi ridicule que lourde de sous-entendus?

Comment lui montrer que les médicaments qu’on lui a prescrits ne l’ont pas été à l’insu de notre plein gré?

L’affaire du Mediator jette une lumière crue sur une réalité aussi choquante qu’elle est banale.

Page de garde et première page du programme du congrès de la SFC (12-15 janvier 2011)

L’argent de l’industrie a infiltré notre profession et il la fait pourrir.

Pourtant, comme l’eau, cet argent est essentiel à la recherche fondamentale et clinique. Et c’est terrible, mais petit à petit il devient aussi essentiel à la formation des médecins. Dans pas longtemps, il le deviendra pour la formation des patients.

Liste des partenaires du congrès de la SFC (12-15 janvier 2011)

Sans eau, pas de vie; sans argent de l’industrie, pas de médicaments, pas de formation.

Symposium organisé par les laboratoires Servier qui ne sont pas mentionnés. Un erratum a corrigé ultérieurement cet oubli.

Trop d’eau, ou mal canalisée, le moisi remplace le germe.

C’est terrible car je n’entrevois aucune solution réaliste.

Ce soir je porte le deuil de ma profession.

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Médiator: un cardiologue tire sur le labo Servier. Libération 13/01/2011

Les conflits d’intérêts mis à nu. Libération 13/01/2011

Servier sait soigner les cardiologues. Libération 13/01/2011

14/01/2011 Modification: ajout des trois copies d’écran du programme du congrès de la SFC

Le groupe de travail

Alain Clergeot a écrit récemment une note sur le financement de l’Afssaps. C’est exactement la note que je voulais écrire, mais je n’ai pas eu le temps de fouiller la question, ni surtout la latence de la rédiger.

En effet, tout comme l’auteur le souligne en préambule, j’avais aussi quelques problèmes de conscience pour écrire au sujet de l’agence.

Lui a des relations avec l’industrie pharmaceutique, et moi, je siège dans un groupe de travail de l’Afssaps.

Mais sa note m’a beaucoup plu, car elle m’a semblé équilibrée et objective.

Ces qualités font que les liens de l’auteur avec l’industrie ne me posent strictement aucun problème. Il ne faut pas voir le mal là où il n’existe pas.

J’espère que vous penserez la même chose de ma note.

Le texte d’Alain Clergeot m’a donc donné envie de décrire comment en pratique se déroule l’expertise dans un groupe de travail au sein de l’Afssaps.

Primo, car je présume que peu savent comment cela se déroule, et ils seront peut-être intéressés, et secundo, j’ai été assez sensibilisé par certains arguments entendus ici et là dans la presse sur l’indépendance de l’agence.

Permettez-moi de faire plusieurs remarques préliminaires:

  • Les opinions que je vais exprimer n’engagent que moi, en aucun cas l’agence ni ses salariés, ni les autres membres de mon groupe.

  • Je ne parlerai pas du Médiator® car je n’en sais pas plus que ce qui est révélé dans la presse. Tout le monde en parle dans l’agence, mais je ne vais pas me mettre à colporter des bruits de couloirs qui primo n’ont pas de valeur bien lourde, et secundo qui ne disent pas grand chose. L’enquête de l’IGAS qui sera disponible à la mi-janvier apportera probablement une analyse fine de ce qui s’est passé. Par ailleurs, si j’ai une opinion, je la garde pour moi.

  • Je ne vise pas du tout à la généralisation de ce que je vais écrire à l’ensemble de l’agence. Je ne parlerai que de ce que j’ai constaté à mon tout petit niveau. Peut-être que dans d’autres groupes, d’autres commissions, tout est très différent. Mais de fait, je l’ignore.

Le groupe auquel j’appartiens depuis février 2010 dépend de la Commission d’AMM, je n’en suis qu’une petite main parmi des centaines d’autres.

Le mandat d’un expert titulaire (c’est le titre exact) est de 3 ans.

J’ai postulé à un appel d’offre sur le site de l’agence (j’avais déjà raconté cela), mais j’ai été refusé au groupe que je convoitais (avec le recul, aucun regret). Hasard incroyable, l’évaluatrice interne d’un autre groupe recherchait justement un cardiologue pour remplacer un départ.

Nous avons donc fait affaire!

A la base, je ne suis qu’un cardiologue clinicien de province avec une épreuve de titres parfaitement vide. J’ai donc été très surpris que je puisse les intéresser. Avec le temps et l’expérience, je pense avoir compris les critères de mon choix:

  • je suis clinicien de terrain.

  • je n’ai aucune relation avec l’industrie pharmaceutique.

  • je sais faire une bibliographie, je lis couramment l’anglais médical, j’ai un certain (appréciation très relative) esprit de synthèse et je suis un bosseur (ça paraît difficile à croire si l’on considère mon activité sur la toile, n’est-ce pas?).

Pas plus pas moins.

Pour être complet, l’évaluatrice interne qui m’a recruté connaissait mon blog, elle savait donc à peu près qui j’étais et ce que je pensais, ce qui a peut-être joué un rôle non négligeable dans ma sélection (et en creux, peut-être ma non-sélection dans l’autre groupe de travail…).

J’ai donc rempli toute la paperasse demandée, notamment comme tous les autres, une déclaration de conflits d’intérêts.

Vous pouvez imaginer comme ce moment a été savoureux alors que je parle de conflits d’intérêts depuis des années…

Idem lorsque le vieux lecteur de Prescrire que je suis a siégé pour son premier groupe de travail.

(je précise vieux pour me faire mousser, permettez-le moi. Pour une fois que j’ai anticipé la foule! Car dans quelques jours/semaines, il y en aura des pelletées de nouveaux, et c’est bien là le plus important).

A la première réunion, donc, j’ai donc rencontré le reste du groupe. Il est composé de 2 évaluatrices internes pharmacologues qui sont agents contractuels, de pharmacologues, d’un autre cardiologue, d’un agrégé de médecine interne, d’un néphrologue, d’un médecin généraliste, d’un pharmacocinéticien hospitalo-universitaire spécialiste du SIDA, de plusieurs responsables de centres de pharmacovigilance, tous solidement armés en pharmacologie …

Bref, un groupe pluridisciplinaire (médecins/pharmaciens, spécialistes/généraliste, agrégés/pas agrégés, hôpital publique/clinique ou exercice libéral en cabinet, Paris/province…), et c’est justement cela qui en fait son intérêt.

Nul besoin d’être agrégé à l’AP-HP pour être expert, ni de faire partie du sérail ou de telle ou telle coterie, ni de cachetonner pour l’industrie pour être admis. Je l’ai déjà dit, mais j’insiste, ce dernier point serait  même plutôt un critère d’exclusion.

Peut-être que je suis incroyablement naïf, mais je ne vois pas d’autres motivations que le bien de la communauté pour nous faire venir régulièrement de coins reculés de l’hexagone pour parler de médicaments et de traiter de dossiers parfois lourds (cf infra) les samedis et dimanches à la maison.

  • L’argent?

Mouhahahahahahaha!

Assister à une réunion est dédommagé 15C, soit 15*22€=330€ (vivement le C à 23€!), être rapporteur sur un dossier est aussi dédommagé (67€, je crois). Les jours de réunion, je me lève à 6h et je rentre chez moi autour de 23h. Je pourrais prendre l’avion, mais je préfère largement le TGV… Je ne veux pas faire pleurer mémé, mais pour vous donner une idée de ce que cela représente, une journée à Paris (notamment 6 heures de TGV+4heures de réunion) équivaut financièrement à environ 4 échographies trans-thoraciques. (comptez 10-15 minutes par examen si il n’y a rien de complexe à évaluer, ce qui est le cas le plus fréquent). Heureusement, les frais de déplacement sont intégralement pris en charge.

  • Le prestige?

Un peu moins mouhahahaha.

C’est vrai que c’est prestigieux et que j’en suis faraud. Je me suis empressé de téléphoner à ma mère pour qu’elle soit fière de moi, et elle l’a été. A la clinique, cette nomination m’a valu le poste de vice-président du COMEDIMS que je ne briguais pas (mouhahahaha), et cette instance va disparaître en 2011 (re mouhahahaha)…

  • La connaissance de choses cachées?

Re Mouhahahahahahahahahaha!

Les dossiers que nous traitons et nos discussions sont rigoureusement soumis au secret professionnel. Une bonne partie des dossiers (hors travaux publiés) sont donc confidentiels. Mais leur connaissance n’a pas révolutionné ma façon de penser sur l’industrie, mon métier ou mes confrères. Par contre je me suis rendu compte à quel point ceux qui croient savoir (ou pire, qui font croire qu’ils savent) peuvent raconter des conneries colossales. Ça et ricaner en silence de leur bêtise, c’est sans prix.

  • Améliorer ma connaissance du médicament?

Indubitablement la chose la plus importante. L’expertise m’a fait progresser à pas de géant et a changé radicalement ma façon de réfléchir sur mes prescriptions. J’en ai tiré la conclusion qu’un expert devrait apprendre autant qu’il sait, voire plus, au cours de son mandat. L’expertise est un enrichissement (pas pécuniaire !) mutuel.

Comment ça se passe en pratique?

Au début de chaque session, les évaluatrices apportent avec l’ordre du jour la liste des membres du groupe qui ont un lien avec les laboratoires dont un des produits va être discuté.

Dans l’immense majorité des cas, cette liste est vierge.

Permettez-moi d’insister encore sur ce point.

Quand je regarde le groupe de travail qui m’environne, rouage infime de l’agence, mais qui est la seule chose dont je puisse parler de façon objective, je constate que le problème des relations incestueuses avec l’industrie n’existe tout simplement pas.

Et ailleurs? Je n’en ai aucune idée, je n’ai ni soupçon, ni connaissance de faits, rien.

Sans rentrer dans les détails, le groupe répond à des requêtes émanant:

  • de l’industrie désireuse de faire changer une rubrique du RCP d’un médicament

  • de l’EMA

  • de la pharmacovigilance

  • d’autres groupes de travail

  • de lui-même (et oui, si un membre tombe sur un papier qui lui semble important d’être discuté avec les autres)

  • plus rarement d’une requête directe d’un professionnel de santé

Les deux évaluatrices internes abattent un travail proprement inhumain.

Je sais ce que certains vont se dire: mon gars, tu es bien gentil, mais tu bosses avec elles, l’une t’a recruté, et elles lisent ce blog, tu ne vas pas non plus dire que ce sont de grosses feignasses…

Si elles l’avaient été, je n’aurais rien dit, mais en l’occurrence, elles bossent vraiment comme des forcenées. J’ai le souvenir d’avoir discuté avec une de dossiers à 2 reprises entre 22h30 et 23h00. Moi, j’étais chez moi devant l’ordi, elle, elle était encore à St-Denis dans son bureau. Je ne cherche pas à faire pleurer le bon peuple, mais cela mérite d’être dit, et d’avoir du respect.

Elles sont donc la cheville ouvrière du groupe. Outre leur travail d’expertise sur certains dossiers, elle ont un rôle de répartition des tâches au sein du groupe et ce sont elles qui rédigent les comptes-rendus de séance.

Je reviens un instant sur le le problème des relations avec l’industrie. Je sais, je suis pesant. Chacun des 35 groupes de travail qui sont en amont de la Commission d’AMM repose donc sur les épaules d’évaluateurs internes que l’on peut très difficilement taxer de collusion avec l’industrie.

Les évaluatrices de mon groupe répartissent les dossiers en fonction des compétences et des disponibilités. Avec mon confrère cardiologue, nous ne traitons donc que des dossiers cardios et laissons avec soulagement les distingués pharmacologues trimer sur les  subtilités ineffables des transporteurs OATP2B1.

Un dossier peut être une simple question, ou l’analyse d’un dossier complet fourni par la firme et envoyé par colis (mon record personnel est de 9kg460).

Les délais de réponse sont en général satisfaisants.

Ensuite j’envoie mon rapport par messagerie électronique aux évaluatrices et au reste du groupe. Chacun est invité à commenter. S’en suit un consensus (ou non) et le dossier est rediscuté à la réunion d’après. Un compte rendu (relevé d’avis) est alors rédigé puis soumis à l’approbation de la Commission d’AMM.
Dans tous les cas de figure, les décisions sont transmises aux firmes, pour information. La firme a alors la possibilité d’agréer à nos décisions, ou au contraire de contre-argumenter. Dans ce dernier cas, le dossier repasse devant notre groupe. C’est ce qu’on appelle une la procédure contradictoire. A l’issue de cela, les évaluatrices internes rédigent un nouveau procès-verbal (terme hautement technocratique pour désigner le relevé d’avis) qui est adressé ensuite en à la Commission d’AMM pour validation.
Si les dossiers échappent aux compétences des membres du groupe, ce dernier peut demander une expertise à des tiers qui font partie d’autres instances, et qui ont, eux-aussi, par définition, rempli une déclaration de conflits d’intérêts.

Le consensus est rarement mou. J’ai le souvenir d’un dossier où mon rapport a été retoqué par un pharmacologue qui a tiré de son chapeau un article répondant à mes critiques point par point. J’ai mangé mon chapeau et ré-écrit ma synthèse. Bon, petite circonstance atténuante, l’article en question était en on-line first dans une revue de pharmaco ou d’anesthésie…

L’ambiance est détendue et informelle, mais gare à celui qui est approximatif sur son dossier ou une réponse!

L’industrie n’est pas notre amie. L’industrie n’est pas notre ennemie. Nous travaillons avec elle car elle connait très bien les produits qu’elle fabrique et que nos décisions la concernent. Dans le dialogue qui se noue avec elle, nous lisons toujours ses arguments avec un œil critique (admirez au passage la richesse sémantique de ce mot), certainement pas complaisant.

Et enfin, bien évidemment, au delà du groupe de travail, mon point de vue sur l’Agence a changé du tout au tout. Je suis passé sous son poli externe très monolithique et administratif (et légèrement hautain, si si…) et j’ai découvert des gens travailleurs, honnêtes et conscients de leur mission de service public (même remarque que supra: si ceux que je connais ne l’étaient pas, je n’en parlerai pas).

Bien sûr, l’image que je vous donne de l’agence est focalisée sur un de ses rouages et  à la relecture ma note ressemble un peu au monde des bisounours (ou si vous préférez aux images chatoyantes des missels de la fin du XIXième évoquant la vie édifiante de telle ou tel(le) saint(e) mort(e) inutilement avec un sourire béat dans des conditions effroyables). Mais ce que je vous ai raconté est ce que j’ai constaté.

Il y a quand même des points qui m’énervent ou me surprennent toujours:

  • pas de service de bibliographie en ligne (genre BiblioInserm) Je trouve ça totalement inacceptable (en passant, un immense merci à tous ceux qui m’aident en palliant à cette aberration).
  • aucune connexion internet digne de ce nom lorsque nous travaillons à en séance (pas facile de chercher rapidement une info). Back to The Trees!
  • un organigramme kafkaïen.
  • le déni conscient ou non de la notion de remise en question (si si…)
  • une inadaptation flagrante entre les moyens de l’agence et ses missions.

La perfection n’existe pas sur Terre, tout comme l’infaillibilité (sauf au Vatican, pour cette dernière). Un homme, un expert, n’est donc pas infaillible, ni non influençable, un groupe d’experts non plus.

L’intelligence collective de notre groupe qui est composé d’individus si divers et sa collégialité visent donc à faire tout ce qui est humainement possible pour tenter de corriger ces deux biais.

Comme d’habitude, si vous avez des questions, des remarques, n’hésitez pas!

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Le Guide de l’expert. Afssaps

17/12/10 21h20 et 18/12/10 8h50: quelques précisions et améliorations stylistiques.