Les mesures annoncées par X. Bertrand pour réformer le système de santé

Voici le résumé des mesures proposées par le Ministre, tel qu’annoncé dans cet article du journal Le Monde:

La prévention des conflits d’intérêts et la transparence des décisions

– Déclaration publique d’intérêts (DPI) systématique pour les acteurs du monde de la santé, consultation des DPI sur une base de données publique

– Présence d’une cellule de déontologie dans chaque agence

– Principe de sanctions en cas de défaut de déclaration d’intérêt, à commencer par l’impossibilité de siéger dans les commissions des agences ; illégalité des décisions prises par une commission où siègerait une personne ayant des liens d’intérêts déclarés ou non.

– Sunshine Act à la française : publication, sous la responsabilité de chaque industriel, de toutes les conventions et rétributions passées entre les laboratoires, les médecins, les experts, les sociétés savantes, les associations de patients et les organes de presse spécialisés.

– Ouverture à la pluridisciplinarité des commissions : autres spécialités médicales que celles concernées par le produit de santé examiné, intégration de personnes qualifiées telles que les représentants des associations des patients.

– Transparence des débats et décisions des commissions : publication des ordres du jour et des comptes rendus des réunions sous quinzaine, recueil et publication des opinions minoritaires, enregistrement vidéo des réunions avec enjeux de sécurité sanitaire.

– Limitation du nombre de membres dans les commissions et de leurs mandats : durée limitée d’exercice à 4 ou 5 ans.

– Renforcement des capacités d’expertise interne, en particulier recrutement d’une vingtaine d’experts de haut niveau (pharmacologues, épidémiologistes, statisticiens)

– Identification claire de l’agence en charge de la police du médicament : l’Afssaps devient l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et des produits de santé

– Nouveau mode de financement de l’ANSM : directement assuré par les subventions de l’Etat, qui percevra les taxes et redevances de l’industrie pharmaceutique.

Un doute qui bénéficie systématiquement au patient

– Demande d’une AMM plus exigeante au niveau européen : celle-ci devrait être conditionnée à la présentation de données comparatives avec les médicaments de référence, lorsqu’ils existent. En attendant, au niveau national, application de règles plus exigeantes pour la prise en charge des traitements par la collectivité : pour être remboursé, le médicament devra démontrer qu’il est au moins aussi bon que les alternatives thérapeutiques disponibles et remboursables.

– Pour les médicaments présentant un Service médical rendu insuffisant (SMRI), de nouvelles règles sont applicables : à l’avenir, aucune prise en charge par la collectivité, sauf avis contraire motivé du ministre.

– Les prescriptions hors AMM, bien qu’indispensables dans certains cas comme ceux des maladies orphelines, doivent rester des situations exceptionnelles.

– Mention obligatoire sur les ordonnances du caractère « hors AMM » de la prescription.

– Détection et suivi de l’usage « hors AMM » des médicaments afin d’identifier les pratiques à risque.

– Responsabilisation des industriels sur l’usage hors-AMM de leurs spécialités : en leur demandant, à l’issue d’une période d’autorisation dérogatoire, de déposer une demande d’extension d’indication ou d’AMM, en instaurant une obligation pour les industriels de contribuer au bon usage de leur produit, et en dotant le CEPS (Comité économique des produits de santé) d’un pouvoir de sanction pour tout manquement à cette obligation.

– Favoriser, simplifier et centraliser la notification des effets indésirables : télédéclaration à partir des logiciels d’aide à la prescription ou de dispensation, numéros de téléphone ou fax dédiés, arrivant directement à l’ANSM (renforcement des équipes en pharmacovigilance)

– Inscription sur chaque boîte de médicament du numéro vert d’appel et du lien Internet de l’ANSM pour la déclaration des effets indésirables par les patients (possible depuis début juin 2011)

– Mise à jour périodique de la liste des médicaments sous surveillance renforcée par l’ANSM : grille de lecture plus fonctionnelle, permettant aux professionels de santé et au public de disposer d’une information juste et proportionnée.

– Réévaluation du rapport bénéfice-risque des médicaments les plus anciens (démarche déjà engagée par l’ANSM)

– Obligation pour les laboratoires d’informer l’ensemble des autorités sanitaires concernées lorsqu’ils retirent un médicament à leur initiative dans un pays, pour des raisons autres que celles liées à la sécurité

– Création d’une cellule de médiation au sein de chaque agence, voie de recours en cas de non-traitement d’une demande ou d’un dossier adressé par un patient ou un « lanceur d’alerte »

– Développement accru de la pharmaco-épidémiologie : création d’un département de pharmaco-épidémiologie au sein de l’ANSM et mutualisation des ressources et des compétences entre l’ANSM, l’INVS, la CNAMTS et la HAS, pour la réalisation d’études de pharmaco-épidémiologie

– Création d’une commission mixte bénéfice/risque à l’ANSM pour les sujets majeurs, avec parité des représentants de la pharmacovigilance et de l’AMM

– Sanctions des industriels en cas de non-réalisation dans les délais prévus des études post-AMM demandées, ces sanctions pouvant aller jusqu’à la suspension de l’AMM.

Information des patients et des professionnels de santé

– Création d’un portail public du médicament regroupant les informations de l’ANSM, de la Haute autorité de santé (HAS) et de l’assurance-maladie.

– Campagnes d’information auprès du public sur le médicament, ses caractéristiques, son bon usage

– Limitation de la visite médicale à l’hôpital à un seul cadre collectif, pour favoriser les échanges entre professionnels de santé et visiteurs médicaux, de façon expérimentale, avant son éventuelle extension à la médecine de ville.

– Formation des professionnels de santé : renforcement de la connaissance du médicament et de la pharmacovigilance dans les formations initiales, mais également au cours de la formation continue.

– Interdiction aux laboratoires de financer toute activité pour les étudiants dans le cadre de leurs études.

– Financement de la formation médicale continue des médecins libéraux et hospitaliers par un prélèvement sur l’industrie pharmaceutique.

– Affirmation du rôle du politique : création d’un comité stratégique de la politique des produits de santé et de sécurité sanitaire, sous la présidence du ministre, avec la participation de toutes les agences et des directions d’administration centrale.

La seconde partie du rapport de l’Igas

L’Igas vient de publier un rapport intéressant sur la pharmacovigilance et la gouvernance de la chaîne du médicament, Ce rapport est la suite logique de celui portant sur « L’Affaire Médiator ».

J’avais déjà parlé de ce dernier.

Une grande partie de ce document porte sur la pharmacovigilance, dont je connais très mal la structure actuelle, donc je vais passer rapidement dessus.

Les rapporteurs de l’Igas souhaitent une simplification et un élargissement des déclarations des effets indésirables inattendus, ce qui paraît le bon sens même. Fort heureusement, depuis peu, les patients et associations de patients peuvent faire cette démarche.

J’ai trouvé le rapport injuste quand il insiste sur le fait que seule la voie postale est possible.

Cette page de l’Afssaps précise en effet que la déclaration peut se faire par « courrier postal ou courrier électronique ».

On pourrait néanmoins largement simplifier le système étant données les potentialités offertes par les technologies actuelles.

Je trouve aussi que le rapport est assez injuste et très jacobin quand il critique l’intégration des autorités sanitaires françaises au sein de l’EMA, l’agence européenne.

L’EMA est un facteur ralentisseur, a un fonctionnement critiquable et n’est pas un modèle en matière de gestion des conflits d’intérêts, certes. Mais les agences de régulation françaises et l’administration française en général, dont l’Igas ne sont peut-être pas forcément les mieux placées pour faire la morale à l’Europe.

C’est certain que d’un point de vue français, l’Afssaps a largement perdu sa prééminence en matière de gestion de la chaîne du médicament. Maintenant, les décisions sont prises à Londres, siège de l’EMA.

Mais je crois qu’il faut dépasser ce point de vue.

Débattre d’un dossier « à l’Europe » comme le disent joliment les évaluateurs de l’Afssaps signifie ouvrir le débat à d’autres cultures pharmacologiques et à d’autres points de vue que le notre. Cela signifie des concessions et un ralentissement de la procédure, certes, mais aussi et surtout à mon sens un enrichissement indiscutable. De la discussion jaillit la lumière. Par ailleurs, lorsque notre pays est rapporteur d’un dossier, chacun va se faire fort de présenter « à l’Europe » le document le plus irréprochable possible. On ne peut pas se permettre d’être ridicules devant les autres pays.

Le jugement des autres ne peut que nous rendre meilleurs. Maintenant, il faut aussi arrêter d’être jacobin et de se lamenter de la perte de la prééminence des agences françaises. L’Afssaps a été et reste un pilier de l’EMA et on peut en être légitimement fiers.

Les auteurs du rapport de l’Igas précisent (page 41):

Pour les médicaments à AMM nationale correspondant, cela signifie une perte de toute une partie des signaux, alors qu’ils ne sont pas non plus traités au niveau européen. A contrario, le nombre de dossier d’AMM où la France est rapporteur ou co-rapporteur était de 23 en 2010, la France se situant en troisième position derrière le Royaume Uni (27 dossiers) et la Suède (25 dossiers). Le rang de la France sur ce même critère a été septième en 2007, troisième en 2008 et cinquième en 2008.

Pourquoi la France est souvent rapporteur? Tout simplement parce que nous sommes parmi les meilleurs en Europe. Le fait que ce soient les firmes qui aient longtemps choisi les pays rapporteurs ne change rien au problème. On ne peut certainement pas se lamenter d’être bons. Être bons « à l’Europe » signifie aussi être bons sur le territoire.

Je ne dirais pas grand chose de plus sur l’expertise interne que . Je pense que le meilleur système est mixte avec une expertise interne forte et des experts externes qui permettent aux agences de multiplier les points de vue et aussi de rester en contact avec le terrain.

(Mais bon c’est aussi certain que je ne suis peut-être pas très objectif car j’aime bien mon poste d’expert externe…)

Les concepts de « Valeur Ajoutée Thérapeutique » réévaluable et de contrôle du nombre de médicaments me semblent parfait, mais il va falloir que l’État mette de l’argent sur la table. Par ailleurs, les firmes vont faire tout ce qui est dans leur pouvoir, notamment au niveau politique, pour saboter sa mise en place. Ces deux phénomènes conjugués font que j’ai peu d’espoir de voir ça de mon vivant.

Suppression de la visite médicale, parfait, et je pense que les firmes vont cyniquement utiliser cette idée pour dégraisser un peu leurs effectifs et développer d’autres moyens pour faire leur promotion. Les auteurs proposent de nationaliser le visite médicale. Parfait, mais là aussi, il va falloir trouver un financement.

J’aime beaucoup le passage suivant (page 93):

Les pouvoirs publics […] se contentant […] De mettre en œuvre une régulation (ex : de la publicité des firmes) souvent a minima (ex : charte CEPS-LEEM sur la visite médicale du 22 décembre 2004 avec pour objectif de « ne pas occasionner de dépenses inutiles » mais sans engagement sur la fréquence de la visite, sans disposition crédible sur la visite médicale à l’hôpital ou sur les autres produits de santé ; certification de la visite médicale par la HAS ; charte Etat-LEEM où celui-ci s’engage à garantir aux organismes de formation continue qu’il finance une indépendance scientifique et pédagogique). Toutes ces dispositions sont globalement formelles, sans contrôle et sans sanction, et deviennent ainsi un alibi pour que les choses ne changent pas.

Mouhahahahahaha, les auteurs ont de toute évidence lu « Le Guépard »

Pour rire encore un peu, je vous suggère les lectures suivantes juste après cette volée de bois vert administrée par les rapporteurs de l’Igas:

  • Les 2 notes que j’avais consacré à cette charte : ici et ici.

Bon, ce rapport me paraît très bien, à l’exception de la restructuration de la pharmacovigilance pour laquelle je n’ai pas d’avis par méconnaissance du sujet.

Par contre, je pense que les solutions révolutionnaires qu’il préconise, et qui me semblent être très bonnes ne seront jamais mises en application de mon vivant.

Primo car les firmes ne vont certainement pas se laisser faire (et de leur point de vue, elles auront raison), et secundo, l’État manque cruellement de moyens financiers pour les mettre efficacement en application et les rendre pérennes.

Toute l’ironie de l’histoire, c’est que ce sont les firmes qui les ont, ces moyens.

Rapport non protégé

Nicolas Sarkozy a chargé fin décembre le député UMP et chirugien Bernard Debré de rédiger un rapport sur l’affaire du Mediator, selon France Info. Le rapport, qui devrait inspirer une loi, sera remis en mars au chef de l’État et au ministre de la Santé, Xavier Bertrand, précise la radio.

Bernard Debré y préconisera que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) soit financée directement par l’État et non par l’industrie pharmaceutique, et proposera également de rendre publique la liste des contrats qui lient les professeurs de médecine à des laboratoires pharmaceutiques.

Lu sur lci.fr ce matin.

Une question et une remarque.

La question: comment connait-on le contenu d’un rapport un peu plus de 1 mois avant qu’il soit remis officiellement? Si le rapporteur l’a déjà écrit, pourquoi ne pas le remettre maintenant? Cela implique aussi que l’affaire du Mediator® est close, que tout est connu et rien de nouveau va être connu, par exemple entre maintenant et mars…

La remarque: cela fait pas mal d’années que les experts des agences et des sociétés savantes, entre autres les PU-PH remplissent consciencieusement leur déclaration de conflit d’intérêt. Certes, on ne connait ni les montants ni la nature des contrats, mais on connait l’existence de liens. Est-ce que cela a empêché  les vilains doutes de collusion dans l’affaire du Mediator®? Est-ce que, actuellement, ces déclarations permettent sereinement au lecteur d’un avis de l’Afssaps/HAS ou d’une recommandation de l’ESC de faire confiance à un texte écrit par des auteurs qui ont un lien financier avec les firmes pharmaceutiques qui commercialisent un produit concerné par cette recommandation/avis?

Mais le problème réside aussi ailleurs.

Faites-vous donc confiance aux dernières recommandations de l’ESC sur la place donnée à la dronédarone, commercialisée et développée par Sanofi, dans la prise en charge de la fibrillation auriculaire, en sachant que 40% des rédacteurs ont un lien financier avec cette firme?

Bon, la question et la réponse ont peu d’importance.

En effet, ces recommandations guident non seulement notre pratique courante, mais aussi  peuvent potentiellement servir de base médico-légale.

Vous êtes dubitatifs devant ces recommandations. Vous débutez chez un patient sans cardiopathie un traitement par amiodarone/sotalol/flécaïnide. Le patient présente un effet secondaire sévère. Lui ou sa famille vous cherchent des noises en vous collant sous le nez (ou celui d’un juge) ces recommandations où la dronédarone passe avant l’amiodarone et les autres anti-arythmiques.

Comment allez-vous vous justifier? En dégainant le magazine Prescrire et votre quête d’indépendance en face de recommandations européennes (et incidemment américaines)?

Cette situation  est un peu caricaturale car étant donné les doutes actuels sur la sécurité du produit, et la réévaluation en cours de sa balance bénéfices/risques par l’EMA, vous ne risquez probablement rien.

Mais cela sous-entend qu’il est nécessaire d’aller au delà de la déclaration des conflits d’intérêts dans les sociétés savantes ou les agences de régulation, il faut qu’il n’y en ait plus.

Les meilleurs parmi les meilleurs

Les laboratoires Servier ont engagé les meilleurs experts parmi les meilleurs durant les dernières semaines de la vie du Médiator®, c’est à lire de [674] à [726] dans le rapport de l’Igas sur l’affaire du Mediator®.

L’industrie n’engage d’ailleurs que les meilleurs.

Cet article de Profession Cardiologue le soulignait encore en novembre 2010:

Il ne faut pas se voiler la face : les industriels cherchent des experts reconnus dans leur domaine, tout comme les agences. Un expert qui fait autorité et qui n’aurait aucun lien avec l’industrie, cela n’existe pas. Et ma crainte est qu’à force de vouloir trop en faire dans cette transparence, on finisse par inciter bon nombre de gens très compétents à se détourner de l’expertise pour les agences

Ce texte s’inquiétait donc avec sollicitude des autorités sanitaires qui auraient bien du mal à exercer leurs prérogatives si elles devaient se passer des experts liés à l’industrie, meilleurs parmi les meilleurs.

Vous êtes un expert dans votre domaine ?

Vous exprimez vos opinions sans concessions ni atermoiement ?

Vous avez une vision globale des problèmes qui vous sont soumis ?

Vous savez lire une diapositive ?

Alors engagez-vous, l’industrie a besoin de vous!


A lire sur le même sujet, cet article de Dominique Dupagne.

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Modification 16/01/11 16h00: j’ai enlevé Lord Kitchener qui faisait quand même un peu trop martial!

19/01/11: ajout de « l’industrie a besoin de vous! »

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