Le coeur des femmes, l’enfer est pavé de bonnes intentions

L’ami néphro a débusqué il y a quelques temps une superbe campagne de publicité qui a pour but de sensibiliser sur le dépistages des maladies cardio-vasculaires chez la femme. Tout est dit dans le texte et les commentaires de son billet.

Je vais simplement rajouter mon petit grain de sel.

Cette campagne est en effet nécessaire, mais j’ai eu, comme beaucoup, du mal à trouver un fondement scientifique sur les deux messages qu’elle assène dans le texte:

En France, une personne sur deux qui décède d’un arrêt cardiaque est une femme.

A partir de 40 ans, consultez un cardiologue.

Le 7 mai dernier, j’ai envoyé ce message au contact de la Fondation Recherche Cardio-Vasculaire/Institut de France:

Bonjour,

je suis cardiologue et je tiens un blog, grangeblanche.com.

J’ai découvert le très beau petit film « Nathalie » avec Julie Depardieu, et je souhaiterais en parler sur mon blog (et éventuellement à mes patients).

Trois petits points m’interrogent néanmoins.

– Une phrase précise que « En France, une personne sur deux qui décède d’un arrêt cardiaque est une femme ». Il me semblait que la proportion était plutôt de 1 femme pour 3 hommes environ. Auriez-vous les références de l’article scientifique qui donne cette proportion de 1?

– Une autre phrase précise « A partir de 40 ans, consultez un cardiologue ». Là-aussi, je suis intrigué. Avez-vous une référence d’article ou de recommandation qui soutienne cette assertion ?

– Pourquoi les passants qui se précipitent vers Nathalie à la fin du film ne débutent pas une réanimation ? Je présume que les 10 secondes qui séparent la constatation du malaise du panneau final auraient pu être mises à profit pour sensibiliser à ce geste important de premier secours en le montrant.

Bien cordialement.

Jean-Marie Vailloud

Je n’ai pas encore obtenu de réponse. L’institut de France doit faire la bibliographie, et puis il y a eu toute cette série de ponts…

La biblio n’est pourtant pas très longue pour le premier point.

Le BEH a publié à ce sujet un numéro très intéressant en novembre dernier.

Il ne cible malheureusement que les infarctus du myocarde hospitalisés. En 2008, le taux d’hommes hospitalisés pour infarctus était de 120.4/100000. Pour les femmes, c’était 43.2/100000.

La mortalité intra hospitalière féminine est le double de celle des hommes (12.4 contre 6%). En chiffres absolus, cela fait 2235 décès masculins, et 2338 décès féminins.

Donc en effet triste égalité hommes/femmes.

Une femme a trois fois moins de chance de faire un infarctus du myocarde qu’un homme, mais en meurt deux fois plus.

Ça, ça pourrait être un bon message.

Pour les morts subites le ratio habituellement retrouvé est de 1 femme pour 3 hommes ( J Clin Epidemiol. 2004 Jan;57(1):98-102 et Cardiovascular Research 50 (2001) 186–196 par exemple).

Le gros point noir demeure le conseil d’aller voir un cardiologue à partir de 40 ans…

Vous avez vu passer une étude qui montre l’intérêt de ce dépistage de masse individuel ( 😉 ) , vous?

Le fond du problème reste la mauvaise reconnaissance des pathologies cardio-vasculaires chez la femme.

La fondatrice de l’association qui est derrière cette campagne a trouvé un coupable tout désigné, le médecin généraliste:

Beaucoup de femmes, parce qu’elles ignorent les symptômes et se pensent à l’abri, attendent trop longtemps avant de consulter. Il est ensuite souvent trop tard ! De plus, les médecins généralistes n’ont pas pris toute la mesure de l’enjeu. Or ce sont eux qui sont en première ligne pour agir. Aujourd’hui – je peux hélas en témoigner – ils confondent souvent les symptômes cardio-vasculaires avec des signes de stress. Résultat : ils prescrivent des tranquillisants au lieu de diriger leurs patientes vers un cardiologue afin de réaliser des examens complémentaires. Les conséquences peuvent être dramatiques !

Bouhhhhhh, les mauvais!

Le story-telling, endossé par l’Institut de France, ça a quand même de la gueule.

Heureusement, que nous cardios, contrairement à ces sexistes de généralistes qui en plus confondent accidents cardio-vasculaires et crises d’angoisse, sommes là pour nous occuper du cœur des femmes!

Enfin, non, pas vraiment, nous ne sommes pas bons non plus.

Cet article de 2009 constate que vaut mieux être soigné par une cardiologue, quelque soit le sexe du patient, le pire étant d’être une femme suivie par un cardiologue masculin:

Female patients were less frequently treated with ACE-Is, angiotensinreceptor blockers, or beta-blockers. Achieved doses were lower in female compared with male patients. Guideline-recommended drug use and achieved target doses tended to be higher in patients treated by female physicians.
There was no different treatment for male or female patients by female physicians, whereas male physicians used significantly less medication and lower doses in female patients. In multivariable analysis, female gender of physicians was an independent predictor of use of beta-blockers.

Il faut donc sensibiliser les professionnels de santé et la population sur la reconnaissance et la prise en charge des maladies cardio-vasculaires chez la femme, mais sans raconter n’importe quoi, ni stigmatiser qui que ce soit.

8 Replies to “Le coeur des femmes, l’enfer est pavé de bonnes intentions”

  1. Merci pour ce billet.
    Le disease mongering est une maladie qui a depuis longtemps frappé la cardiologie.
    En travaillant la littérature sur les complications thrombo-emboliques liées à la pilule oestro-progestative, j’ai été étonné du silence des cardiologues sur ce point précis (sans compter les pneumologues).
    Il est probable, je l’ai longuement développé sur mon blog, que c’est le style de vie qui entraîne une augmentation de la mortalité cardiovasculaire chez les femmes. L’association tabac contraception O / P augmente le risque cardiovasculaire de 3 à 20 fois selon l’âge et la longueur de l’exposition (http://www.lauma-communication.com/2011/08/25/2731-aout-congres-europeen-de-cardiologie-faire-reculer-les-maladies-cardiovasculaires/).
    C’est donc, aussi, de la responsabilité des généralistes que de déconseiller fortement tabac et contraception, et déconseiller est un euphémisme.

  2. Yes !! les femmes meurent plus du coeur que du cancer du sein ??
    Tu connais

    La British Heart Foundation
    a lancé une campagne pour la promotion du massage cardiaque sur «Staying Alive» des Bee Gees

    Amitiés
    Hugues

  3. « Je vais simplement rajouter mon petit grain de sel. »

    A propos de maladies cardio-vasculaires, ça n’ en manque pas.

  4. Merci pour ce billet qui remet les pendules à l’heure aussi bien sur le plan scientifique que confraternel, ça fait du bien.
    Et pour le second degré : je croyais qu’il n’y avait que Winckler qui s’occupait du choeur des femmes.

  5. Bonjour,
    au fond rien de neuf dans ce message médical. Il est connu, du moins j’avais lu une fois un article sur le fait que l’infarctus chez la femme est sous-diagnostiqué dans le service des urgences, que les signes « annonciatrice » d’un infarctus sont autre chez la femme que chez l’homme et ainsi soient méconnu du milieu médical. Pour moi milieu médical signifie aussi bien le MG que le spécialiste et les urgences en furent cités dans cet article que j’avais lu dans la salle d’attente de mon MG!

    Je peux même plus rire des « romans à l’eau de rose » avec leur déclarations et chagrins d’amours = coeur brisé, puisque apparemment il existe bien une maladie cardiaque du coeur brisé (au nom asiatique).

    De toute manière, il faut bien mourir d’une chose ce qui importe est comment vit-on sa vie, avec ou sans maladie, non?!

    Bonne soirée

  6. Bonjour,

    Je peux témoigner que, dans mon cas au moins, ma généraliste est passée totalement à côté… 47 ans, fumeuse, je consultais très rarement, c’est donc après des mois d’apparitions d’un point douloureux entre les omoplates, lors d’efforts (genre marcher vite dix minutes…) que j’en parle à mon toubib. Elle me prescrit une radio des poumons qui ne montre rien (sauf que le radiologue me suggère après description des symptômes que cela peut être cardio-vasculaire, ce que ma généraliste balaie d’un revers de « non, vous êtes une femme, trop jeune, etc. »), puis dix séances de kiné, que je ne fais pas, car un mois plus tard ce même point douloureux apparaît en pleine nuit, et est devenu tellement douloureux que mon mari m’emmène aux urgences. Là, par contre, ils ont tout de suite mis le doigt dessus, et je dois dire qu’ils m’ont déroulé le tapis rouge : 0 attente, plein de médecins, coronaromachintruc… tout en me disant sans cesse que j’étais un cas rare. Cela se manifestait d’ailleurs souvent, fort agréablement pour moi, par les termes suivants : « Vous êtes très jeune… » 😉
    Bref, j’avais eu un (petit) infarctus.
    Passablement agacée tout de même, j’ai changé de médecin traitant et lorsque je lui ai expliqué pourquoi (l’aveuglement manifeste de mon ex médecin), il m’a répondu qu’il aurait sans doute fait la même erreur, car les infarctus étaient très rares chez les femmes de mon âge.
    J’aurais donc tendance à penser que, tout bourrin qu’il soit, le message délivré par ce spot pourrait bien être utile à quelques unes.

    1. Le message est utile, même pas tellement bourrin, mais il pourrait au moins être basé sur des données établies. Il faut que nous prenions conscience de la féminisation des pathologies cardio-vasculaires, c’est indéniable, mais pas comme cela.

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