Médiator: interrogez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens

Le Dr Irène Frachon refait parler d’elle avec un article qu’elle a co-écrit avec Philippe Nicot et Catherine Hill et qui doit être publié dans La Presse Médicale.

Elle s’exprime par ailleurs dans ces articles du Monde et du Télégramme de Brest sur le processus d’analyse des dossiers présentés à l’Oniam dans l’affaire du Médiator® (Benfluorex).

Elle poursuit donc sa voie afin de faire reconnaître l’ampleur des conséquences liées à la prise de benflurorex.

Elle m’a gentiment fait parvenir une copie de son article. Les données citées en sont extraites.

Son idée est que l’Oniam sous-estime largement l’imputabilité de l’apparition des valvulopathies sous benfluorex, chez les patients exposés. Son point de référence est déterminé à partir des données de la littérature actuellement disponibles, notamment l’étude de C. Tribouilloy.

Par exemple, au jour d’aujourd’hui, l’Oniam a reconnu l’imputabilité du benfluorex dans 10 dossiers sur 27 (37%) de patients porteurs d’insuffisances mitrales et aortiques prédominantes, non opérées, tous stades confondus, alors que selon l’étude de Tribouilloy, on aurait pu s’attendre à un pourcentage attribuable autour de 79.

Précision importante, ces 37% sont tirés de 82 dossiers analysés dans l’article de Nicot P., Frachon I.,  et Hill C., et non de l’ensemble des dossiers traités à ce jour par l’Oniam. Ces 82 dossiers ont été remis par les associations de patients victimes du Médiator aux auteurs. Il peut donc y avoir un biais de sélection.

Le second concept qu’elle développe est un peu plus dérangeant pour les cardiologues, il vaut donc le coup que l’on y réfléchisse un peu.

Nous avons tous appris le concept de valvulopathie rhumatismale (post rhumatisme articulaire aigu ou RAA), ainsi que sa sémiologie échographique. Nous rencontrons tous les jours des « valves rhumatismales », avec dans l’immense majorité des cas des conséquences hémodynamiques minimes ou nulles.

Mais sommes-nous vraiment certains que l’étiologie soit celle-ci ? Est-ce que parmi ces atteintes, ne se cacheraient pas des valvulopathies iatrogènes, notamment secondaires à la prise de benfluorex (ou des valvulopathies mixtes: post-RAA et iatrogènes)?

L’idée est iconoclaste et me ferait immédiatement penser à un disease mongering, si c’était un labo qui m’avait susurré cette éventualité à l’oreille.

Mais c’est Irène, alors pourquoi ne pas y réfléchir?

Le RAA est une maladie quasi éteinte chez nous depuis des décennies, chez les métropolitains de souche. La précision est importante, car il n’est pas rare de trouver chez les patients immigrés/non métropolitains une notion de RAA dans l’enfance.

Les atteintes valvulaires du RAA s’installent, puis parlent (ou non) sur des durées très longues: 10-20-30 ans… Étant donné l’ancienneté des dernières vagues épidémiques de RAA en France métropolitaine nous devrions donc voir de moins en moins de valvulopathies rhumatismales, notamment triviales, et elles devraient être rares chez les 60-65 ans (64 ans, âge moyen des patients ayant déposé un dossier devant l’Oniam).

Or, tel n’est pas le cas, notamment dans les dossiers analysés par l’Oniam.

La théorie de Irène Frachon reste une théorie, mais ça vaut le coup d’y réfléchir.

Indépendamment de cela, Irène Frachon a tout contre elle, et c’est aussi ça qui fait que sa ténacité est remarquable:

  • pas cardio donc de prime abord peu/pas crédible quand elle parle de valvulopathies.
  • elle a secoué dans leurs certitudes les cardios, (qui n’aiment pas ça) et n’est pas une copine (délicat euphémisme) de Servier, le resto du coeur des cardiologues, qui aide à faire manger des milliers de confrères dans le besoin (ainsi que leur société savanteleur « collège »leur syndicat, leurs revues…).

sfc

  • Les valvulopathies liées au Médiator ressemblent beaucoup à celles du RAA qui furent/sont très fréquentes.
  • Ces valvulopathies sont induites par un traitement donné depuis des décennies, mais elles n’ont été reconnues que depuis peu. C’est à dire que de nombreux patients, parmi les plus exposés sont morts de ça (ou d’autre chose) avec leur valvulopathie dite rhumatismale, à une époque ou l’échographie cardiaque balbutiait et surtout lorsqu’on ignorait même que le benfluorex donne ces lésions.
  • Les patients ne se souviennent pas toujours d’avoir eu un RAA, voire même parfois d’avoir pris du benfluorex.

Dans mon petit coin, je vais systématiser ma question sur la prise de benfluorex devant la découverte d’une valvulopathie « d’allure rhumatismale », même triviale.

Interrogez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens!

Twitter, aliskirène et JAMA

Je vais faire une note brève pour parler de trois sujets n’ayant pas de point commun entre eux, enfin si, un, faire partie d’une même note.

Un, l’aliskirène s’est encore lamentablement plantée dans un essai présenté aujourd’hui à l’ACC. L’article publié dans le JAMA est disponible gratuitement ici.

Deux, le JAMA veut faire branché, comme les autres copains, en permettant de partager un article sur Twitter:

shareJAMA

Le problème est qu’ils n’ont toujours pas compris qu’un tweet est limité à 140 caractères, et non à 239..

JAMA

Trois, si vous voulez suivre un  grand congrès de cardiologie sans passer sur une publication/retransmission financée de façon directe et désintéressée par Servier/Bayer…, voici quelques comptes Twitter à suivre:

@theheartorgFR

@theheartorg

@ShelleyWood2

@HeartNews

@cardiobrief (véritablement indépendant et pertinent, mon chouchou)

@garyschwitzer

Cholestérol, mensonges et propagande, quelques morceaux choisis

J’ai relu ma note sur le bouquin de de Lorgeril, et je me rends compte qu’elle est peut-être un chouïa courte.

Je vais vous donner quelques exemples de choses qui m’ont plu, et quelques exemples de choses que je trouve assez énormes.

Michel de Lorgeril analyse l’essai SPARCL pages 150 et 257. SPARCL a été publié en 2006 dans le NEJM.

Pour de Lorgeril, SPARCL est négative car non significative avant ajustement. Elle le devient après. L’auteur considère que cet ajustement est un tripatouillage des résultats. Je dirais que si l’ajustement a été décidé avant le début de l’étude, on peut considérer qu’il est acceptable.

SPARCL

L’étude est à mon sens faiblement positive. Mais ce n’est pas pour cela que je traiterais mes patients comme dans SPARCL. Je rejoins donc de Lorgeril sur ce point. Je le rejoins aussi sur la propagande incroyable qui a été faite sur cet essai. Cet article de theheart.org en est un exemple impressionnant.

L’auteur est donc très à cheval sur le p. Enfin, quand ça l’arrange…

En début de bouquin, il dénonce le scandale ENHANCE (j’avais parlé de ce scandale ici). Page 30, il écrit cela:

ENHANCE

Le problème est que l’augmentation de l’épaisseur intima-media (un critère intermédiaire à la con) est non significative (p=0.29). Donc on ne peut pas dire qu’il y ait eu « une légère augmentation ». C’est dur, mais c’est ainsi.

De Lorgeril parlait justement très bien des tripatouillages statistiques, juste quelques pages avant, page 19 pour être précis, en invoquant les mânes de Twain et de Churchill:

stats et Churchill

Ensuite il pilonne 4S, publiée dans le Lancet en 1994, et qui reste l’étude la plus positive sur les statines.

Une étude « miraculeuse », comme l’auteur le dit.

Michel de Lorgeril reproche des tas de choses à 4S:

  • d’avoir été arrêtée précocement sans raison valable.

  • le nombre de décès signifiant l’arrêt de l’essai a été fixé a posteriori.

  • il n’y a pas eu de stratification par centre, ce qui a engendré une sur-représentation des patients à faible risque dans le groupe statine et une sur-représentation des patients à fort risque de décès dans le groupe contrôle.

Les deux premiers points tiennent de la croyance. Seul l’accès aux documents internes du promoteur pourrait prouver ce que de Lorgeril dit. Peut-être que 4S a tout simplement été arrêtée du fait du bénéfice observé sous statine?

Le troisième point est intéressant. A-t-on vraiment besoin de stratifier des centres qui sont situés dans une zone géographique homogène (ici la Scandinavie)? Michel de Lorgeril explique une possible hétérogénéité des centres en arguant d’une intoxication au mercure ou d’un déficit en sélénium ponctuels (page 271) dans les centres dans lesquels auraient été randomisée une majorité de patients du groupe contrôle.

Oui, d’accord, mais encore une fois, il faudrait avoir accès aux données brutes pour prouver cela. La théorie du mercure-selénium qui intoxique spécifiquement les habitants des centres où il y a plus de patients  du groupe contrôle me paraît uhmmm curieuse.

L’auteur ne regarde que la mortalité cardiovasculaire ou totale. Il écrit qu’il est très simple de trafiquer les données sur la morbidité. Soit. La confiance, on l’a ou pas, cela ne se discute pas.

confiance

Mais bon, pour diminuer le nombre d’infarctus ou d’accidents vasculaires, ça ne me choque pas de prescrire un traitement.

Donc il repousse du plat de la main toutes les études dont la mortalité n’est pas un critère primaire, ou celles pour lesquelles la mortalité n’est pas statistiquement diminuée. Et ce, dans ce dernier cas, même si la mortalité n’est pas un critère primaire. Par exemple, il met en avant CARE (NEJM 1996) qu’il décrit comme une étude négative afin de discréditer les résultats de LIPID (NEJM 1998).

Un petit peu surréaliste, quand même…

(Le critère primaire de CARE est composite: mortalité coronaire et IDM non mortels; celui de LIPID est mortalité d’origine coronaire).

Il repousse aussi dédaigneusement toutes les études faites avant le scandale du Vioxx, car suspectes d’avoir été trafiquées. Partant de ces principes, il ne reste en effet pas beaucoup d’études justifiant la prescription d’une statine.

Son analyse de PROSPER publiée dans le Lancet en 2002 est intéressante. Il la barre d’un trait de plume page 185 et en reparle plus tard dans le chapitre statines et cancer.

Bon, le gain clinique n’est pas gigantesque mais significatif (15% pour un critère composite de morbi-mortalité), et il y a un nombre accru de cancers dans le bras statines (+25% en moyenne, quand même). Les auteurs sortent de leur manche, dans le même papier une méta-analyse qui rassure le lecteur: il n’y a pas de lien entre statine et cancer…

Michel de Lorgeril n’insiste pas sur ce point, c’est dommage. Cette méta-analyse deus ex machina, pour rassurer le chaland, ce n’est pas de la science.

PROSPER

Par contre, de Lorgeril, qui voit le mal un peu partout trouve suspect que la durée initialement retenue de PROSPER ne soit pas précisée dans le papier du Lancet (page 207):

PROSPERbouquin

En fait la durée initialement prévue est de 3.5 ans en moyenne. Cette donnée, comme le reste de la structure de PROSPER est disponible dans cet article publié dans l’ Am J Cardiol en 1999. Il suffisait de chercher un peu. Rien de suspect là-dedans.

On remarque aussi qu’il ne retient que des critères secondaires négatifs de PROSPER et ferme les yeux devant le critère principal et les critères positifs (il y en a). Cherry picking

Michel de Lorgeril écrit à plusieurs reprises que l’infarctus du myocarde a une mortalité à court terme de 50%, par exemple page 173.

50pcentIDM

Il utilise cet argument pour contester la diminution du nombre d’infarctus sous statines.

J’avoue que ces 50% (tirés du registre MONICA) m’ont impressionné. La mortalité des infarctus hospitalisés est bien moindre, par exemple dans ce registre français publié dans le JAMA. En 1995, la mortalité à 30 jours d’un infarctus ST+ était de 13.7%. Au Danemark, on retrouve aussi des chiffres très inférieurs à ceux de l’auteur (BMJ 2012).

Vous allez me dire, et les gens qui n’ont pas le temps de devenir des patients? Et ceux qui meurent avant même d’arriver à l’hôpital, voire avant toute prise en charge médicale? Je n’ai pas réussi à trouver des données bien nettes. Quelqu’un a une source fiable (par définition, ce n’est pas évident)?

J’ai quand même du mal à imaginer qu’une telle hécatombe pré-hospitalière vienne contrebalancer le bon pronostic des infarctus hospitalisés, et ainsi confirmer les soupçons bien hypothétiques de l’auteur.

Voici donc quelques exemples, tirés d’un livre très touffu.

Je garde donc mon impression mitigée.

D’un côté, Michel de Lorgeril pose de bonnes questions et secoue le confort d’une pensée unique, bien établie depuis des années par toute la puissance commerciale des laboratoires. Mais ses conclusions d’une analyse uniquement à charge et basée en partie sur des suppositions me paraissent bien excessives.

Comme souvent, la vérité est probablement ailleurs au milieu.

Je vous rappelle le communiqué récent de la HAS sur les statines, et un texte de synthèse de Christian Funck-Brentano et François Gueyffier dans Le Monde.

J’ai failli aussi oublier la passionnante Saga du cholestérol racontée par Dominique.

Quel suspens!

Je ne résiste pas à vous faire découvrir en avant-première (merci à celui qui se reconnaîtra) le nouveau feuilleton à suspens des productions Syndicat National des Spécialistes des Maladies du Cœur et des Vaisseaux (SNSMCV)/Servier.

Comme chaque année, le syndicat se rend dans les grands congrès de cardiologie et nous rend compte quotidiennement du résultat des grandes études.

La publication est financée grâce au soutien institutionnel indépendant et désintéressé des laboratoires Servier.

Le numéro 1 est ici.

Oubliez toutes les séries américaines qui vous prennent les tripes à la fin de chaque épisode.

Les productions SNSMCV/Servier font mieux.

Dans le rôle de Jack Bauer, Robert Haiat.

ACC1

Mais de quel médicament va donc bien pouvoir nous parler Robert dans les prochains numéros?

Une statine?

Un inhibiteur direct de la rénine?

Le suspens est intenable, je suis tachycarde et j’ai un poids sur la poitrine.

Vite, de l’ivabradine!

(Merde, je l’ai dit)