L’attrait de la nouveauté

L’industrie pharmaceutique aime bien l’innovation.

Quand une innovation devient un médicament d’occasion, c’est à dire le jour où son brevet devient public et/ou le jour où sort un médicament encore plus innovant, plus personne n’en parle plus. Et ce, même si ce traitement est toujours efficace. On n’en parle plus, pis, notre regard devient condescendant envers cette pauvre molécule (voire envers ceux qui la prescrivent).

Normal, me direz-vous, les visiteurs médicaux vont vanter aux praticiens leur tout nouveau produit, et insister lourdement sur ses améliorations (objectives ou non).

Le cas du dabigatran (Pradaxa®) pour l’indication de la prévention des accidents thrombo-emboliques dans la fibrillation auriculaire non valvulaire est intéressant de ce point de vue.

Un mois de traitement par fluindione coûte 3.92€ (à 1 comprimé par jour, prix pour la boite de 30 comprimés).

Un mois de traitement par dabigatran 110 coûte 166.78€ (à 2 comprimés par jour, prix pour 2 boites de 30 comprimés).

Soit un supplément de coût de 162.86 € par mois.

Bon, vous me direz, le dabigatran ne nécessite pas de contrôle d’INR régulier. Je ne connais pas le coût d’un INR, mais je présume qu’avec 162.86 euros par mois, on peut en faire un certain nombre.

Maintenant, intéressons-nous aux améliorations apportées par le dabigatran 110 (le seul disponible en France pour l’instant) par rapport aux AVK.

Que dit Re-Ly?

Re-Ly dit que le dabigatran 110 fait mieux que la warfarine sur le critère primaire (accident vasculaire cérébral (ischémique, hémorragique, ou non spécifié)+embolie périphérique) en analyse de non-infériorité (vous savez ce que j’en pense…) avec un risque relatif à 0.91 [0.71-1.11]. 9% en moyenne, pas de quoi se relever la nuit.

Par contre, le dabigatran 110 fait moins saigner que la warfarine, environ 20% de mieux (3.36% par an contre 2.71% par an). Ça, c’est un peu plus intéressant.

La semaine dernière, une amie de mon épouse, une infirmière, souhaitait me parler de son père. Il a 86 ans, une fibrillation auriculaire et son cardiologue vient de remplacer sa fluindione par du dabigatran. Elle a appelé pour savoir ce que j’en pensais. Son père a un rein en moins sur une néphrectomie. J’ai calculé une clairance à 31 selon MDRD. La contre-indication du dabigatran est en dessous de 30. C’est donc limite limite, d’autant plus que des rapports émanant d’Australie, du Japon, et très récemment de l’EMA (ici et ici) nous incitent depuis à être prudents chez les patients porteurs d’une insuffisance rénale.

Le dabigatran fait saigner, c’est normal et attendu pour un anticoagulant. Pour l’instant, il n’y a pas péril en la demeure.

Mais je pense qu’il faut bien avoir à l’esprit qu’une fonction rénale altérée majore le risque de saignement, et qu’il faut donc être très prudent chez les patients âgés. Manque de chance, un âge supérieur ou égal à 75 ans est un des critères de prescription de l’AMM. C’est ballot.

Il faut savoir résister aux sirènes de la visite médicale qui poussent à prescrire du dabigatran et se faire une idée par soi même sur les données brutes.

Innovation n’est pas synonyme de mieux pour nos patients.

J’ai déjà eu 2 propositions de remplacement d’un AVK par du dabigatran chez des patients en fibrillation auriculaire. Chaque fois, la demande émanait du médecin traitant. A chaque fois, j’ai répondu la même chose: pas d’intérêt majeur à faire ce changement, et laissons vivre le produit un an avant de le prescrire à nos patients. Peu après, les autorités sanitaires ont commencé à s’intéresser à ces histoires de saignements. J’ai toujours appliqué la règle du Wait and See pour les innovations, d’autant plus que leurs bénéfices sont discutables par rapport aux molécules de référence.

Juste pour vous faire réfléchir, notamment sur le risque de saignement chez les sujets âgés et incidemment sur l’intérêt des 162.86€ de surcoût par mois du dabigatran, voici un petit graphique que j’ai réalisé à partir des données d’une analyse de Re-Ly publiée dans Circulation. Il s’agit du risque de saignement majeur du dabigatran 110, du dabigatran 150 et de la warfarine en fonction de 2 groupes d’âge: moins de 75 ans, 75 ans et plus, et dans la population générale:


Chez les 75 ans et plus, le dabigatran 110 a un risque de saignement majeur similaire à celui de la warfarine.

Non sans fierté, j’ai entendu dire mon épouse au début de sa conversation avec son amie: Je te le passe, il devrait pouvoir te conseiller, et il ne reçoit pas les visiteurs médicaux…

Nouvelles recommandations pour la prise en charge de l’ACFA

Les nouvelles recommandations européennes sur la prise en charge de la fibrillation auriculaire sont disponibles depuis peu sur cette page.

Je me suis jetté sur le chapitre4.1 (pages 11-24) qui concerne le traitement antithrombotique.

Les auteurs confirment l’importance du score CHADS2, mais souhaitent l’affiner en rajoutant de nouveaux paramètres dans les cas difficiles, par exemple dans les cas ou ce score est à 0 ou 1.

Ce score affiné s’appelle, prenez votre respiration, le CHA2DS2-VASc.

Vous en trouverez les composantes page 14.

Mais on peut aussi très bien suivre le diagramme suivant:

OAC c’est pour Oral AntiCoagulant, ce qui ménage la place aux nouvelles molécules.

Je suis aussi allé voir comment s’était intégrée la dronédarone dans ces recommandations.

De façon un peu surprenante, pas mal:

HT: hypertension, CAD: Coronary Artery Disease, LVH: Left ventricular Hypertrophy.

Bonne lecture!

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un excellent article de synthèse:

Dr Walid Amara. Les nouvelles recommandations européennes sur la FA « collent à la pratique ». theheart.org. [International Editions > Édition française > Sections > Actualités > Rythmologie]; 30 août 2010. Consulté à http://www.theheart.org/article/1115165.do le 30 août 2010 . 

 

Fibrillation auriculaire et warfarine

J’ai donc lu l’article du Ann Intern Med et son éditorial.

Encore une fois merci à ceux qui se reconnaîtront.

Le sujet en est un des plus complexes et des plus fréquents rencontrés au cours de la pratique quotidienne de la cardiologie « de base ».

Faut-il oui ou non anticoaguler le patient en fibrillation auriculaire qui est devant soi?

Les recommandations ACC/AHA/ESC de 2006 sont claires et nettes, mais leur application pratique me pose très souvent des problèmes cornéliens. Faut-il « ouvrir le parapluie » et se réfugier derrière les recommandations, ou choisir une option qui me semble moins risquée pour le patient, mais hors recommandations?

Pour rendre les choses encore plus complexes, ce fameux patient, souvent âgé ou très âgé, est déjà assez souvent sous aspirine, clopidogrel, voire les deux (j’attends en frémissant mon premier patient sous prasugrel ou ticagrelor) pour des tas de bonnes (?) raisons.

Plus il est âgé, et plus son score CHADs2 est élevé, et plus on a intérêt à l’anticoaguler, mais plus les risques à le faire sont élevés.

J’avais déjà parlé de cela ici.

Ça ne résout pas le problème, mais que les néphrologues soient confrontés au même problème (ici et plus récemment ici) me fait me sentir un peu moins seul.

Donc évidemment, une étude qui étudie spécifiquement cette question épineuse sur 13559 patients m’a considérablement alléché.

Bon, j’ai été déçu, et l’étude n’a pas répondu à mes questionnements philosophiques, et même pratiques.

Certes, la population est énorme, mais l’allocation warfarine/autres traitements n’est pas aléatoire, et le mode de calcul du « bénéfice net » de la warfarine me semble très discutable (exclusion des saignements extra crâniens, choix discutable d’un coefficient de pondération dont je ne comprends pas l’utilité).

La warfarine aurait un bénéfice un peu plus intéressant chez les patients de plus de 85 ans, et chez ceux qui ont un antécédent d’accident cérébral ischémique. Rien de bien renversant, et la méthodologie utilisée fait que ces résultats ne me rassurent pas.

Même dans une étude médiocre, il y a toujours des informations à grappiller.

Ainsi, le taux d’accidents emboliques chez les patients non anticoagulés ayant un score CHADs2 à 1 est très faible, à 1.2% par an. Il s’agit du taux le plus faible d’une littérature qui commence à dater un peu. Cette diminution dans le temps est imputée par les auteurs à une meilleure prise en charge de l’HTA (?) et par l’auteur de l’éditorial à un biais de suivi (ouarff). Ce serait donc peut-être une bonne nouvelle.

L’éditorial est assez critique vis à vis de l’article, et j’imagine que ce dernier a réussi à être publié dans Ann Intern Med que grâce à l’énormité de la population étudiée.

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Singer DE, Chang Y, Fang MC, et al. The net clinical benefit of warfarin anticoagulation in atrial fibrillation. Ann Intern Med 2009; 151: 297-305.

Hart RG and Halperin JL. Do Current Guidelines Result in Overuse of Warfarin Anticoagulation in Patients With Atrial Fibrillation? Ann Intern Med 2009; 151: 355-356.

Coeur et rein, le point de vue du néphrologue

Stéphane a publié le point de vue du néphrologue sur le traitement par AVK chez le patient insuffisant réanl, à la suite de ma note précédente « Cœur et rein« .

Donc, comme toujours, rien n’est simple, prudence est mère de sureté.

La remarque « Les patients les plus à risque de complications thromboemboliques avec une fibrillation auriculaire (FA), les insuffisants rénaux chroniques sévères, sont ceux qui, théoriquement, devraient le plus profiter d’une anticoagulation. Ceux sont aussi ceux qui ont le plus grand risque de complications hémorragiques et chez qui l’INR est le plus difficile à équilibrer. Un véritable cauchemar. » énoncée par Stéphane est malheureusement générale pour le traitement préventif des accidents thromboemboliques chez les patients en ACFA.

Ainsi, le score CHADS2 résume à lui tout seul ce problème. Plus il est élevé, plus le risque thrombo-embolique l’est (ce qui conduit à prescrire des AVK pour les scores élevés, selon les recommandations ESC 2006), mais plus le risque de saignement augmente aussi.

Beati pauperes spiritu.

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