LoDoCo est une petite étude australienne qui s’est intéressée à l’utilisation de la colchicine chez le coronarien stable. J’avais vaguement vu passer un article dans theheart.org, mais je ne m’y étais pas plongé.
En fait, je n’aime pas trop la colchine.
Cette molécule est souvent mal tolérée, mais surtout a un index thérapeutique étroit et un nombre élevé d’interactions médicamenteuses. Tout cela et la gravité des intoxications, en font un médicament délicat à manier, notamment chez la personne âgée.
D’un autre côté, je ne l’utilise pas au long cours (mais ça pourrait changer…), et donc mon expérience clinique sur la durée est inexistante.
Donc je suis passé rapidement sur cette étude jusqu’à ce qu’un lecteur me demande ce que j’en pensais.
Je l’ai lue et je l’ai trouvée intéressante.
Voici donc un petit brin d’analyse sur LoCoDo.
LoCoDo est une petite étude auto-financée par l’auteur principal, le Heart Care Western Australia et le Heart Research Institute of Western Australia.
532 patients porteurs d’une coronaropathie stable ont été alloués de façon aléatoire en deux groupes: 282 dans le groupe colchicine 0.5g/jour PO et 250 dans le groupe contrôle sans colchicine. Le suivi médian a été de 36 mois (24 à 44 mois).
L’étude a été construite sur le plan PROBE (Prospective Randomized Observer-Blinded Endpoint). C’est à dire qu’il n’y a pas eu de placebo, et donc que l’étude a été effectuée en ouvert. L’intérêt de ce plan d’étude est son moindre coût par rapport aux essais en double aveugle. L’inconvénient est une sensibilité plus importante aux biais.
Petit détail rigolo, les patients sont allés eux-même chercher leur colchicine à leur pharmacie habituelle. Ils pouvaient être néanmoins remboursés sur demande. Je ne sais pas si la prise des comprimés était contrôlée, et quelle a été l’incidence sur l’adhérence des patients au traitement par colchicine.
I. Quel est le résultat mis en avant par les auteurs?
Un traitement par colchicine, en plus du traitement standard a permis une diminution de la survenue des évènements cardiovasculaires chez des patients porteurs d’une coronaropathie stable.
II. Interprétation critique
1) Validité interne
- Réalité statistique du résultat
Les auteurs ont choisi un critère primaire composite d’efficacité suivant:
-
syndrome coronaire aigu (SCA), arrêt cardiaque hors hôpital et accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique non cardio-embolique.
En intention de traiter, la comparaison entre le groupe colchicine et le groupe contrôle montre pour le critère primaire d’efficacité un risque relatif à 0.33, pour un intervalle de confiance à 95% compris entre 0.18 et 0.59, p<0.001. Le NNT est à 11.
Les auteurs ont choisi comme critères secondaires:
- chacune des composantes du critères principal.
- SCA non lié à une resténose/thrombose de stent.
Le papier n’explicite pas l’existence d’analyses intermédiaires, ni de stratégies pour contrôler le risque alpha.
- Contrôle des biais
Prise en compte des facteurs de confusion:
Il existe un groupe contrôle contemporain ne prenant pas de colchicine. L’effet du traitement est déterminé par rapport à ce groupe.
Prise en compte du biais de sélection:
L’essai est randomisé selon une procédure informatisée, centralisée par un assistant ne prenant pas part à l’essai par ailleurs. Le protocole précisait a priori que cet assistant avait la possibilité d’inclure un patient supplémentaire dans le groupe colchicine en cas de retrait d’un patient déjà inclus, en cas de mauvaise tolérance au cours du premier mois. Les patients intolérants restaient dans l’étude. Le problème est donc qu’une partie des patients du groupe colchicine n’ont pas été randomisés. On ne peut donc exclure un biais de sélection. Les deux groupes diffèrent sur les traitements concomitants: plus d’inhibiteurs calciques (j’espère que ce n’était pas du vérapamil ou du diltiazem 😉 ) et moins de bêtabloquants dans le groupe colchicine.
Insu:
L’essai est réalisé en ouvert. Les mesures des critères d’efficacité sont similaires dans les deux groupes. Le papier ne précise pas si l’allocation des évènements a été faite par un comité indépendant, ni même si les investigateurs ignoraient la survenue des critères étudiés (probablement que oui, étant donnée la méthodologie PROBE, mais ce n’est pas dit…). Les évènements étudiés sont heureusement des critères objectifs, peu sensibles à l’interprétation.
Les arrêts de traitement, les déviations par rapport au protocole et les traitements concomitants ont été correctement documentés et recueillis.
Les biais de suivi et d’évaluation ne me paraissent pas suffisamment contrôlés (en tout cas le papier n’est pas explicite sur ces points).
Sorties d’essai, biais d’attrition:
L’article montre un joli diagramme CONSORT en couleur.
Il n’y a pas de perdus de vue. On note dans le groupe colchicine un pourcentage élevé d’arrêt du traitement:
- précocement 32/282, 11.3% (majoritairement des symptômes intestinaux)
- et tardivement 30/282, 10.6%
7 patients sur 282 n’ont pas pris de colchicine (2.5%).
Environ 1 patient sur 5 a donc arrêté son traitement par colchicine au cours de l’essai.
L’analyse a été effectuée en intention de traiter. Ce mode d’analyse et l’absence de perdus de vue permettent un contrôle satisfaisant du biais d’attrition.
- Validité méthodologique:
La démarche qui a conduit à ce protocole est hypothético-déductive, puisqu’elle est issue de la théorie de l’inflammation de la plaque d’athérome.
(Les différentes tentatives pour « refroidir » la plaque d’athérome sont bien racontés dans l’éditorial accompagnant cette étude).
2) Validité externe
A ce jour, LoDoCo reste le seul essai testant l’efficacité de la colchicine dans cette indication particulière.
3) Pertinence clinique
- Critères de jugement
Les auteurs ont choisi un critère primaire composite un peu curieux, hétérogène. On y trouve du cœur (SCA et arrêt cardiaque hors hôpital) et du cerveau (AVC ischémique non cardio-embolique). Pourquoi?
Comme toujours, je suis un peu gêné de trouver ensemble des critères de gravité variables: AVC, SCA et arrêt cardiaque hors hôpital.
Ces critères ont été peut-être alloués par un comité indépendant ne connaissant pas la répartition des patients. Comme je l’ai déjà dit, rien n’est indiqué dans le papier.
- Taille de l’effet
Le risque relatif observé pour le critère principal composite est un très impressionnant 0.33 avec un intervalle de confiance à 95% entre 0.18 et 0.59 avec p<0.001.
La diminution relative moyenne du risque sous colchicine est de 66%, au mieux de 82%, au pire de 41%.
Pour les critère secondaires, les syndromes coronariens ressortent (cette composante est celle qui explique presque intégralement la positivité du critère primaire), de même que les SCA non liés à une resténose/thrombose de stent.
- Patients inclus
Les critères d’inclusions/exclusion étaient les suivants:
- coronaropathie prouvée angiographiquement.
- Âge entre 35 et 85 ans (pourquoi?)
- Stabilité clinique depuis au moins 6 mois
- Pas de co-morbidités majeures, pas de contre-indication au traitement par colchicine
- Patient compliant et d’accord pour participer à l’étude
Donc rien d’extraordinaire, hormis ce choix curieux de bornes d’âge.
- Traitements comparés:
L’essai comparait la prise de 0.5 g de colchicine par jour à l’absence de traitement.
- Traitements concomitants
Plus d’inhibiteurs calciques (18% vs 10%) et moins de bêtabloquants (62% vs 71%) dans le groupe colchicine. 94% des patients du groupe contrôle étaient sous aspirine ou clopidogrel, 93% dans le groupe colchicine. On peut donc estimer que les deux groupes étaient correctement traités.
- Effets indésirables
Comme je n’ai déjà indiqué, la prise de colchicine s’est accompagnée d’un nombre important d’effets secondaires, principalement gastro-intestinaux. On note aussi quelques myalgies. 10 patients sont décédés dans le groupe contrôle (5 de cause présumée cardiaque, 2 dans les suites d’un arrêt cardiaque hors hôpital, 2 d’un choc cardiogénique post SCA, 1 dans les suites d’un pontage aorto-coronarien), 4 dans le groupe colchicine, de cause non cardiaque. De quoi sont morts les 4 patients du groupe colchicine? Pas d’une intoxication à la colchicine, j’espère 😉 .
Sans plaisanterie, j’aurais aimé que ce fut précisé.
III. Conséquences de ce travail pour la pratique médicale.
Trop beau pour être vrai ? C’est un peu ce que l’on a envie de dire devant les résultats impressionnants de cette étude. La structure de l’étude, rendue nécessaire par son auto-financement, ne permet apparemment pas de contrôle satisfaisant des biais, notamment de sélection et de suivi et d’évaluation. Vivement un gros essai en double aveugle qui ne devrait pas manquer d’être lancé. Quoi qu’il en soit, il restera le problème important de la tolérance de la colchicine et surtout de sa toxicité. D’un autre côté, le jeu en vaut peut-être la chandelle ?
Le renouveau de l’intérêt vasculaire de la colchicine?
Si cette étude fait des petits, ce sont les américains qui risquent de faire une triste mine, car comme je l’avais raconté en 2010, la colchicine y est devenue un produit de luxe.
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Nidorf SM, Eikelboom JW, Budgeon CA, Thompson PL. Low-dose colchicine for secondary prevention of cardiovascular disease. J Am Coll Cardiol. 2013 Jan 29;61(4):404-10. doi: 10.1016/j.jacc.2012.10.027. Epub 2012 Dec 19.
Vogel RA, Forrester JS. Cooling off hot hearts: a specific therapy for vulnerable plaque? J Am Coll Cardiol. 2013 Jan 29;61(4):411-2. doi: 10.1016/j.jacc.2012.10.026. Epub 2012 Dec 19.
Michael O’Riordan. LoDoCo: Cheap, widely available colchicine reduces events in secondary prevention. theheart.org. [Clinical Conditions > Acute Coronary Syndromes > Acute coronary syndromes]; Nov 5, 2012. Accessed at http://www.theheart.org/article/1470691.do on Feb 3, 2013
Un joli diaporama sur LoDoCo.
On a une bonne expérience de la prise au long cours de la colchicine avec les FMF. Si on fait attention aux symptômes annonciateurs et en particulier à la diarrhée, ça se passe bien. Par contre quand il y a intoxication, on se réveille trop tard. Quand le patient est en état de choc réfractaire et en aplasie et là, ça limite son utilisation pour quelque temps. J’ai vu une intoxication en pratique chez une patiente qui s’automédiquait dans notre dos pour sa FMF alors que sa fonction rénale se dégradait, ça s’est très, très mal fini.
Il y a à ma connaissance deux grosses études qui vont essayer d’obtenir les résultats des australiens aux USA avec des molécules anti-inflammatoires (methotrexate et anti-il1). Le sujet est très chaud car un papier récent du JCI, http://www.jci.org/articles/view/43713 montre que la perte du récepteur à l’Il1 accélère l’athérogenèse. Ce qu’il y a d’amusant, c’est que la colchicine augmente la libération d’il1, http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/2242502 , par exemple (un drôle d’antiinflammatoire hein), peut être que l’effet bénéfique de cet inhibiteur de la formation des microtubules passe par cette voie. On attend avec impatience plus de résultats
Hello,
il n’y a pas un problème avec le critère principal ? Elle est passée où, la mortalité ?? Si le but est de montrer que le système de santé va faire des économies sur les hospitalisations pour SCA, c’est bien ; si le but est de montrer qu’on va sauver des vies (et il me semble que pour de la cardio, ça compte un tantinet), alors c’est mal.
Il n’y avait pas assez de patients pour pouvoir démontrer une différence de mortalité. C’est pour cela qu’il ne l’ont pas choisi comme critère principal, ni même secondaire.
Merci d’avoir répondu à mes interrogations en moins de 3 jours !
Je m’étais intéressé à cette étude, ayant un patient répondant aux critères d’inclusion, mais qui a eu un AVC ischémique non cardio-embolique. Il est parfaitement équilibré par ailleurs… Je me demandais ce que je pouvais faire de plus pour lui… Apparemment la colchicine n’a pas l’air d’être la molécule miracle pour lui (en tout cas pour prévenir la récidive d’AVC).
Hello !
dans la série vieux médocs, je trouverais ça fun de voir la clonidine (un de mes médicaments préférés) revenir sur le devant de la scène
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/6469405