Dans cette note, je racontais qu’en décembre 2014 Servier avait admonesté, via un cabinet d’avocats, les deux sociétés « savantes » de ma spécialité, avec lesquelles le laboratoire entretenait pourtant d’excellentes relations, et ce, malgré le scandale du Mediator®.
La poursuite de ces relations fructueuses, en dépit de tout ce qui s’est passé, a fait l’objet hier de la parution du Manifeste des 30, sous l’égide d’Irène Frachon.
Je me suis demandé si quelque chose avait changé depuis ce gros séisme, non pas le scandale du Mediator®, mais cette grosse colère de Servier. Je suis donc allé voir les pré-programmes des deux prochains congrès de la SFC (janvier 2016) et du CNCF (octobre 2015).
Commençons par le CNCF, c’est le plus simple. Rien n’a changé, Servier demeure un sponsor important du congrès, qui aura lieu à Marseille en octobre:
Pour la SFC, par contre, les choses semblent avoir beaucoup évolué.
Nulle mention de Servier (ou une de ses filiales) dans le pré-programme du congrès de janvier prochain.
Depuis 2009, année du premier programme disponible sur le site de la SFC (et, hasard, année de la révélation du scandale du Mediator®), Servier a toujours financé au moins 1 symposium et/ou table ronde (2 en 2009 et 2010), et 1 bourse d’études de la SFC, « Le projet de recherche Edouard Corabœuf ».
En 2016, à moins d’une modification toujours possible, je n’ai retrouvé ni symposium Servier, ni surtout cette emblématique bourse SFC.
Si cela se confirme, je ne peux que féliciter les laboratoires Servier d’avoir été à l’origine de cette difficile, certes, mais juste décision de mettre fin à des liens financiers qui ne pouvaient que générer des conflits d’intérêts entre les partenaires et gêner leurs buts et aspirations respectifs.
J’espère que le reste de l’industrie pharmaceutique aura ce même courage éthique.
Même si ce mouvement devait s’amplifier, je ne suis pas inquiet pour la SFC.
Je suis certain qu’elle saura garder sa clairvoyance légendaire, même si elle devait perdre le Palantír que représente ses liens avec l’industrie.
Il paraît que le dernier numéro de Cardiologie Pratique est un panégyrique de l’ezetimibe….
La première page et l’extrait suivant semblent en effet annoncer une grande offensive pour sortir l’ezetimibe de la voie de garage sur laquelle une série d’essais décevants l’avait poussé:
Le magazine Forbes a demandé à des spécialistes ce qu’ils pensaient des résultats d’IMPROVE-IT:
The result is, in a word that came up regularly during interviews with 15 cardiologists and industry executives, “modest.” No deaths were prevented by using the $7-a-day Vytorin pill instead of a 25-cent generic.
Researchers at Duke and Harvard’s Brigham & Women’s Hospital said in a press release that 50 patients had to be treated to prevent a heart attack or stroke – an impressive figure. But that’s over seven years. Over five years, the number would be 70, compared to 44 for other statin trials according study author Christopher Cannon. It would cost $880,000 to prevent that heart attack or stroke, at least until Zetia goes generic in 2016. “As expensive as it is, it’s less expensive than the cost of a stroke,” argues Duke University’s Robert Califf, one of the researchers who designed the study.
To some cardiologists who have been critics of the drug, the size of the effect – a 6.4% relative decrease – remains an issue.
“I will be the first to say it is a positive result, that it is a meaningful, it shows that lowering LDL with a non-statin, in this case ezetimibe, does in fact reduce morbidity and mortality a little bit,” says Steven Nissen of the Cleveland Clinic. “But it’s a very specific population, it is a very small population, and it took a very long time. It should not be overstated.”
Allen Taylor, chief of the cardiology division at Medstar Georgetown University Hospital, was even stronger: “Risk reduction of 6% is nothing to dance around about,” he says. “It’s very clinically marginal. It’s positive only because it’s so big and so long they brought it down to such a low chance of failing that even a marginal clinical result like this could be statistically in the bounds of value.”
To heartwire , Dr Sanjay Kaul (Cedars Sinai Medical Center, Los Angeles, CA), who was not affiliated with the study, said the IMPROVE-IT trial « technically » won on the primary end point, but he questions the clinical significance of the findings, noting the overall treatment effect was modest. He also points out that the difference in the composite primary end point « was elevated to the lofty pedestal of statistical significance simply due to the large sample size, a classic example of a disconnect between statistical significance and clinical importance. »
« Are we to applaud and celebrate a 6% relative risk reduction in a quintuplet end point that is primarily driven by reductions in nonfatal end points? » asked Kaul. He added that it is not clear which type of MIs, spontaneous or periprocedural, were reduced with treatment.
Le dernier paragraphe est très pertinent. La multiplicité et l’hétérogénéité du critère principal (AVC/mort cardio-vasculaire/hospitalisation pour angor instable/SCA ST+/revascularisation coronaire) obère en grande partie l’interprétation sur l’efficacité clinique de l’ezetimibe que l’on pourrait faire en regardant la significativité statistique de cet essai.
18141 patients suivis pendant 7 ans et un critère primaire avec une quintuple composante… Ce n’est plus une loupe qu’ont utilisé les auteurs pour observer les effets cliniques induits par l’ezetimibe, mais un microscope électronique particulièrement pêchu. Malgré toute cette très impressionnante puissance statistique, on arrive à un poussif 6,4% de diminution moyenne du risque relatif (et aucune amélioration de la mortalité totale ou même cardio-vasculaire).
Il nous faudra donc encore un appareil bien plus discriminant pour espérer voir un effet sur le patient de l’autre côté de votre bureau.
La fréquence de survenue d’un critère composite est supérieure à la fréquence de chacune de ses composantes. De ce fait, les critères composites augmentent la puissance de la recherche de l’effet traitement. Le nombre de sujets nécessaires est moindre avec un critère composite qu’avec une seule de ses composantes.
Cette utilisation pose cependant plusieurs problèmes. En cas de regroupement d’événement de pertinence clinique variable, le critère global va être principalement le reflet des événements de moindre importance si ces derniers sont prépondérants en fréquence. Ainsi, lorsque le critère clinique pertinent n’est que l’une des composantes d’un critère combiné , la mise en évidence d’un effet sur le critère composite ne permet souvent pas d’inférer un effet sur le critère clinique pertinent. Dans un essai d’antiagrégants lors de l’angioplastie, l’observation d’une réduction significative de la fréquence du critère « décès+revascularisation+stent » ne démontre pas l’aptitude du traitement à réduire la mortalité. Car la mortalité ne représente qu’une petite part du critère composite. Bien que plus facile à mettre en évidence, un effet sur un critère composite n’équivaut pas à une démonstration de l’efficacité sur le critère clinique le plus pertinent.
Un effet délétère sur la mortalité peut être tamponné dans un critère clinique par un effet favorable sur un critère bien plus fréquent. L’utilisation du critère composite fait passer à côté de cet effet indésirable et de l’absence de bénéfice clinique du traitement.
Pas de précipitation, je ne pense pas qu’il soit totalement déraisonnable de savoir résister aux sirènes de « 20 ans d’innovation » en réfléchissant bien avant de prescrire de l’ezetimibe, même aux patients de la population étudiée par IMPROVE-IT.
Les laboratoires Servier m’ont toujours impressionné par leur manière de vendre des médicaments.
Ils déterminent de façon méthodique une stratégie de vente qui est souvent avant-gardiste et l’appliquent sans se poser le moindre questionnement. Leurs publicités des années 70 avaient par exemple 20 ans d’avance.
Pour cela, ils sont remarquables.
Depuis des années, Servier, comme d’autres, mais eux sont les meilleurs, ont su développer et faire fructifier des liens extrêmement forts avec les cardiologues, à titre individuel et collectif via des structures comme la SFC, le CNCF, ou le syndicat des cardiologues libéraux.
Il en va de même pour la presse médicale que nous recevons tous gratuitement, et qui ne vit que pour et grâce à l’industrie. Ces journaux sont comme des virus utilisés dans la thérapie génique. Ils délivrent une information, favorable aux labos, à une cible très précise, un médecin de telle ou telle spécialité.
D’où leur multiplication stupéfiante: une revue par spécialité et depuis quelques années par sous-spécialité. Je le dis de nouveau, personne parmi nous ne paye d’abonnement à ces journaux de niche. Leur survie est donc intimement liée aux subsides des labos. Cerise sur le gâteau, les articles sont des piges bien payées pour de grands noms, universitaires ou non.
Tout le monde est content:
l’industrie pharmaceutique délivre un message précis à une cible précise, et s’inféode dans le même mouvement une grande partie de l’information médicale post-universitaire.
Les revues vivaient jusqu’à présent pas trop mal (en ce moment c’est quand même un peu la crise…) sans avoir à rechercher des lecteurs puisque c’est l’industrie qui payait les abonnements et fournissait les listes d’abonnés. Du moment qu’elles publient des articles dithyrambiques sur les dernières nouveautés ou ne parlent pas des études négatives, comme SIGNIFY pour l’ivabradine, l’industrie leur assure le boire et le manger.
Les cardiologues leaders d’opinions se font mousser, et arrondissent leurs fins de mois.
Les cardiologues « de base » (j’en suis un) ont l’impression de continuer leur formation à moindre frais et de vivre dans un monde ou tous les médicaments qu’ils prescrivent, surtout les plus récents sont des merveilles.
Finalement, les seuls lésés par ce gentil petit système, ceux qui ne demandent pourtant rien à personne sont la sécu et les patients.
Et là, patatras, voilà qu’un acteur, et pas n’importe lequel, les laboratoires Servier, eux-même ruent dans les brancards et crachent dans la soupe.
Les laboratoires Servier ont donc engagé la firme de conseils Simmons & Simmons pour aller mordre les mollets de leurs anciens amis, la SFC et le CNCF et par ricochet la presse médicale « de qualité ».
Ils égratignent la revue Cardinale qui ne serait pas une revue scientifique, donc indigne d’être citée par la SFC et le CNCF dans l’affaire Mediator®.
Ils ajoutent « que Cardinale n’est pas référencée dans les bases de données scientifiques et ne remplit pas les critères qui permettent d’en garantir la qualité scientifique » et que « la plupart des assertions de cet article ne sont que l’expression de l’opinion de ses auteurs et non l’expression d’un consensus de la communauté scientifique internationale ».
C’est assez croquignolesque de de voir Servier critiquer la qualité scientifique de cette pauvre revue Cardinale.
C’est comme si UPSA se rendait tout d’un coup compte que Cindy n’avait pas son doctorat en pharmacologie moléculaire et cellulaire et ne connaissait strictement rien aux rhinites hivernales.
Page 29, dans ce numéro de Cardinale de 2001, longtemps avant que Servier ne se rende compte très récemment que cette revue n’était pas le NEJM, ce labo n’hésitait pourtant pas à vanter son extraordinaire Vastarel®.
Curieux que Servier ait décidé de montrer tout d’un coup les dents d’une façon aussi spectaculaire à ses partenaires.
Je ne discerne pas tout, mais je n’ai aucun doute que tout cela ait été longuement réfléchi.
A leur place, néanmoins, j’aurais été moins frontal. J’aurais diminué le nombre de mes encarts publicitaires, la taille de mes stands, le nombre de mes symposia, de mes invitations aux congrès, de mes bourses d’étude, de mes tirés-à-part, pour discrètement mais efficacement montrer qui est le patron.
Peut être que, comme je l’avais écrit le 18/01 de façon un peu prémonitoire, d’autres labos ont remplacé Servier dans leur cœur. Attention, il faut toujours se méfier d’un partenaire éconduit…
Y a t’il quelqu’un dans la salle pour saisir le CODEEM au nom de la SFC, de la revue Cardinale ou du CNCF?
On a reparlé des résultats de l’étude IMPROVE-IT aux journées européennes de la SFC.
J’ai hâte que l’étude soit publiée, pour pouvoir me faire une idée, mais le labo qui commercialise l’ezetimibe est traditionnellement un peu frileux à publier des résultats quand cela touche cette molécule…
Donc pour l’instant, il faut se contenter des quelques résultats rendus publics. L’avis un peu général qui se dessine (par exemple ici et ici) est que les résultats de IMPROVE-IT sont positifs statistiquement, mais peu significatifs cliniquement. Encore une fois, difficile de se faire une idée sans lire la publication.
La SFC a publié deux communiqués sur IMPROVE-IT: ici et ici. On y retrouve un exposé « brut » des résultats, sans aucune interprétation ni analyse, ni même éclairage. Le premier communiqué est même un copié-collé assez troublant des diapos du labo:
J’adore la « belle performance » du NNT à 50.
Sur un an, le chiffre aurait été en effet remarquable mais l’auteur oublie curieusement de préciser que l’étude en a duré 7. Il faut donc traiter 50 patients durant 7 ans pour éviter un évènement. Cela représente un « surcoût » de 214620 euros par évènement évité. Aux États-Unis, cette « belle performance » coûte encore plus cher:
@matthewherper Modest indeed. What's not modest: ~$900,000 worth of Vytorin given to 50 people for 7 years to prevent one event.
Je vous rappelle enfin que la SFC est notre société savante.
Savante, pour moi, ça signifie recherche, analyse, réflexion, objectivité, indépendance.
Le ctrl+C puis ctrl+V (ou cmd+C puis cmd+V pour les utilisateurs de Mac) d’une communication industrielle me déçoit mais ne me surprend pas plus que cela. MSD a bien vite remplacé Servier dans le cœur de la SFC.