Suspicion

La prise de conscience de l’existence des liens financiers entre médecins et industrie et surtout de leur possible effet sur l’honnêteté intellectuelle ou professionnelle des praticiens jette parfois un trouble dans notre perception de la littérature médicale.

En parcourant le JAMA de cette semaine, je suis tombé sur cette lettre d’excuses et cette mise au point sur un commentaire concernant un article traitant de l’alcool et les jeunes.

Pour résumer, l’auteur du commentaire qui contestait la relation entre le budget publicitaire des boissons alcoolisées et la consommation d’alcool chez les jeunes n’ayant pas l’âge légal a oublié de déclarer un lien financier.

Et quel lien, puisque l’auteur est le directeur d’un institut qui a reçu 2.5 millions de dollars de la société Anheuser-Busch en 2005!

L’auteur plaide la bonne foi.

Mais ce n’est pas tellement le problème.

En sachant cela, j’ai relu évidemment son commentaire avec un tout autre œil.

Mais est-ce justifié?

Est-ce que ce conflit d’intérêt rend caduque son analyse et les données qu’il fournit?

Plus généralement, comment intégrer la connaissance de liens financiers entre les auteurs d’un article scientifique et l’industrie, pharmaceutique ou non, dans l’analyse que l’on peut faire de cet article?

Et, vous avez des liens avec l’industrie pharmaceutique?

Voilà une question délicate à poser à son médecin.

Je ne sais pas si vous vous êtes demandé si vous alliez la poser, mais des journalistes du Washington Post l’ont fait.

Au États-Unis, 94% des médecins ont des liens financiers avec l’industrie pharmaceutique.

Soixante-dix-huit pour-cent d’un groupe de patients potentiels pensent qu’accepter un cadeau de la part de l’industrie pharmaceutique influence la prescription du médecin. Soixante-huit pour-cent jugent nécessaire une législation qui obligerait à déclarer ces liens financiers. Par contre, ils ne sont plus que 34% qui oseraient demander si leur médecin a des liens avec l’industrie.

C’est vrai que commencer le premier rendez-vous de la longue, complexe et ambiguë cour mutuelle que représente la relation médecin-malade est assez délicat.

Presque un faux pas; le râteau assuré.

Je vous laisse imaginer des exemples dans le cadre d’un premier rendez-vous amoureux.

Je m’imagine face à un patient qui me demanderait cela de prime abord.

Alors que j’ai toujours dénoncé les relations sulfureuses entre industrie et confrères, et que j’en ai aucune, je me dirais intérieurement , « Ouuuuuuuuh, toi, mon loulou, tu es du genre pénible et retors. Méfiance. ».

En général, je dis à ce type de patients que leur cas est ex-cep-tio-nnel et je leur suggère rapidement d’aller voir des médecins bien plus savants que moi au CHU, qui seront bien plus dignes que moi de gérer un tel cas. Typiquement une tension artérielle labile incontrôlable sous Hyperium avec des pics à 141/92 le matin au lever.

J’appelle ça « professoraliser un patient« , et ça marche très bien sur les pénibles. En général, ça marche d’autant mieux qu’ils sont plus pénibles.

Puis je lui demanderais d’une voix suave si il n’est pas Gold Member à la MGEN…

(remarquez l’approche subtile. Je vais encore me faire des tas d’amis).

L’article cite le célèbre Daniel Carlat qui propose une approche subtile, elle aussi, mais qui le sera peut-être moins au bout de la dixième approche similaire:

 » ‘I’ve been reading in the paper a lot about how pharmaceutical companies pay doctors. Does that happen?’ That is a nice way of opening up the topic, » he said.

Bon, évidemment, ne le fait pas en anglais, sinon, ce n’est pas une loupiote rouge qui va s’allumer au fond de l’esprit du médecin en face de vous mais un gyrophare de camion pompier.

Je plaisante mais l’article est intéressant.

Ce n’est pas notre mentalité, mais je pense qu’il faut nous préparer à ce qu’une telle éventualité survienne.

Je regrette que Thérèse ne soit pas là pour nous donner son point de vue.

°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°


Probing Doctors’ Ties to Industry. By Ibby Caputo Washington Post Staff Writer. The Washington Post. Tuesday, August 18, 2009

Conflits d’intérêts et SFC.

La SFC vient de décider qu’elle allait dépister les conflits d’intérêts chez les membres de ses groupes de travail.

Sage décision.

Mais on est plus dans l’effet d’annonce que dans une réelle mesure cherchant à limiter les conflits d’intérêts.

Tout d’abord, la mesure semble être facultative si l’on en croit ce que dit le Dr Guéret qui est son président actuel:

« Au-delà de ça, j’ai proposé aux membres du Conseil d’Administration et aux cardiologues qui le souhaitent de nous faire parvenir leur déclaration de conflits d’intérêt que nous archiverons à la SFC, avec remise à jour régulière. »

Ensuite, il manque une chose fondamentale à la déclaration en elle-même: la temporalité. Un conflit d’intérêt vieux de 3 ans ou de 3 semaines me semble ne pas avoir le même poids. Par ailleurs, l’absence de limites temporelles strictes appelle probablement au manque de rigueur dans le processus de remémoration.

Je me suis rendu compte de tout cela en remplissant cette fiche de déclaration, celle de l’Afssaps, que l’on peut critiquer mais qui est bien plus précise que celle de la SFC. Par ailleurs, la déclaration de la SFC place sur le même plan, au moins en terme de présentation, la participation financière à une société et par exemple une rémunération pour une conférence ponctuelle.

C’est donc plus une esquisse d’un préliminaire timide, qu’un début.

°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°

Dr Catherine Desmoulins. La SFC s’engage à déclarer les conflits d’intérêt . theheart.org. [International Editions > Édition française > Sections > Actualités > On en parle]; 16 juin 2009. Consulté à http://www.theheart.org/article/979593.do le 17 juin 2009

Les médicamenteurs

Ce soir, France 5 diffuse à 20h35 un documentaire qui s’annonce être passionnant, « Les médicamenteurs« .

Ce documentaire a d’autant plus de valeur que le Formindep et Philippe Foucras, son président et y ont très activement participé.

Philippe sera d’ailleurs présent sur le plateau avant et après la diffusion de ce documentaire pour répondre aux questions de Carole Gaessler (le chanceux!).