Quand on s’intéresse aux montres, on s’intéresse un jour ou l’autre à leur précision.
Plus précisément ( 😉 )à leur fidélité (Precision) et leur exactitude (Accuracy), j’ai commencé à en parler ici.
Mon objectif initial était d’obtenir un graphique similaire à celui-ci, trouvé sur cette page de Wikipédia:
J’ai commencé par télécharger une application, WatchTracker pour iOS qui mesure la fidélité et l’exactitude d’une montre entre 2 intervalles de temps, avec une horloge atomique comme référentiel. L’avantage est de mesurer ces paramètres dans la vie réelle, et non dans des positions fixes, si on utilise un chronocomparateur. L’inconvénient est que l’exactitude de la mesure est dépendante du délai entre 2 mesures et de la précision avec laquelle on tapote sur l’écran pour déclencher la mesure quand l’aiguille des secondes atteint exactement un index donné (par exemple 8h45min00s, 9h15min15s…).
La mesure la plus utilisée de l’exactitude d’une montre mécanique est le nombre observé de secondes par 24h en plus ou en moins par rapport à une heure de référence.
Mettons que je tapote avec 0.1s de retard par rapport à l’horloge atomique, l’erreur liée à la mesure (et non à la montre) sera de 0.3s par jour pour un intervalle de 8h (3*8h=24, 3*0.1=0.3), de 0.2s par jour pour un intervalle de 12h (2*12h=24, 2*0.1=0.2) et donc de 0.1s par jour pour un intervalle de 24h.
Je suis néanmoins parti du principe de mesurer ma montre toutes les 12 heures, ce qui m’a permis de comparer la nuit et le jour et les jours de sortie en vélo/jours non sportifs (mais j’y reviendrai). La rapidité d’appui, et surtout le moment exact est difficile à standardiser et à optimiser. Le créateur de WatchTracker estime l’erreur systématique de mesure à 0.25 s. Après quelques tests successifs, mes mesures varient au maximum entre 0.3-0.4 s par rapport à un temps de référence pour un intervalle entre deux mesures de 12h.
J’ai utilisé ma SLA033 achetée en juillet dernier dans l’excellente boutique Seiko de Aix-en-Provence dont l’équipe et le responsable sont passionnés et sympas (je n’ai pas d’actions chez eux). Son mouvement est un 8L35, mécanique, automatique, qui est le haut de gamme actuel de la gamme Seiko.
Je voulais prendre 100 mesures, mais j’ai craqué à 76. Un des grands intérêts de WatchTracker est de pouvoir exporter les données sous format CSV, et donc de pouvoir les retravailler sur Excel et faire un peu de représentation de données statistiques.
Seiko, qui reste toujours très modeste dans ses spécifications annonce une exactitude de -10 s/24h à +15 s/24h. C’est très loin des helvètes avec des tolérances de -2 à +2s/24h pour leurs meilleurs mouvements mécaniques (Rolex pour ne pas les citer). Le responsable de la boutique Seiko à Aix m’a plutôt annoncé de 0 à +3s/24h observés chez ses clients.
Pour ma part, j’observe +0.7 s/24h en moyenne sur 37 jours. C’est évidemment excellent, même en se souvenant que l’incertitude de mesure est à 0.3-0.4 s/24h. Le 8L35 rentre donc très largement dans les critères de tolérance helvètes les plus stricts. Pour prendre une mesure de la précision de ce mouvement qui est 100% mécanique, si on ramène une déviation de 0.7s par 24 h en pourcentage, on obtient une erreur de 8,1E-6 %…
Pour donner un autre ordre de grandeur, les mouvements à quartz hauts de gamme de Seiko (le 9F85 par exemple) sont à +/-5s par an, et le mouvement 0100 de Citizen est à +/-1s par an.
Pour revenir aux helvètes, notamment Rolex dont les marges de tolérances sont à -2/+2 s par 24h, la Daytona que l’excellent Jack Forster de Hodinkee a eu la chance de porter durant 1 semaine n’a pris qu’une seconde sur cette durée…
Maintenant, place à quelques graphiques.
D’abord les Rates, l’exactitude mesurée toutes les 12 heures (clic sur le graph pour l’agrandir):
Les variations représentent ma vie quotidienne, notamment l’alternance jours/nuits et jours de vélo/jours sans vélo. J’ai commencé mes mesures en dormant avec ma montre, j’ai donc gardé cette habitude tout au long de ce mois et demi de mesures. Si on la pose sur la table de nuit, les mesures observées seront différentes (position fixe et température ambiante et non celle de la peau).
L’exactitude moyenne de ma montre est donc de 0.7s/jour. Mais quelle est sa fidélité?
Sa fidélité est en fait ni plus ni moins que la dispersion des mesures que j’ai effectuées.
Sans surprise, mes mesures suivent une loi normale:
95% de mes 76 mesures sont comprises entre -0.5 et +1.9 s par jour, soit 2 écarts-types autour d’une moyenne de 0.7 s par jour. J’ai représenté en rouge la ligne désignant une fidélité parfaite de 0s par jour:
Encore une fois, on peut constater que le 8L35 fait le boulot avec une exactitude et une fidélité tout à fait satisfaisantes pour une montre mécanique. Comme je ne sais pas faire de density plot sur Excel et que je ne suis pas super à l’aise sur R, j’ai utilisé un histogramme. Mis à part cela, j’ai non sans plaisir recréé le graphique de Wikipédia.
On peut aussi représenter ces mesures selon un graphique joliment appelé boite à moustache (Box-plot en anglais). On retrouve notre moyenne à 0.662 (j’ai arrondi à 0.7), une médiane à 0.609… Je ne rentre pas plus dans les détails.
L’intérêt de la boite à moustache est de pouvoir comparer deux populations, ici deux types de mesures, par exemple de jour (Day) et de nuit (Night):
Je n’ai pas fait de test statistique (je ne suis pas fan de data dredging…). Mais on a l’impression que la montre est plus exacte le jour (+0.5s/24h contre +0.8) et que la fidélité (la dispersion) est un peu meilleure la nuit (plutôt logique car je bouge beaucoup moins).
Je fais des sorties en vélo intra muros à Marseille les samedis et les dimanches. Le vélo, notamment dans les rues défoncées est un cauchemar pour une montre mécanique (et pour les cardio-fréquencemètres de poignet, aussi). Je me suis amusé à comparer la marche de ma montre les jours de vélo (Bk) et les jours sans:
Ne vous laissez pas impressionner par l’apparente importance de la dispersion qui est faussée par le faible nombre de sorties en vélo effectuées sur la période (8 sur 76 mesures). En effet la dispersion l’écart type est inversement proportionnel au nombre de mesures. Curieusement, la moyenne observée est nettement plus faible les jours de vélo (0.1 s/24h vs 0.7s/24h). Mais là aussi, il faut garder en tête le faible échantillonnage.
J’ai enfin comparé, pour rigoler, les mesures en fonction du jour de la semaine:
(Rien de fou, mais je fais donc 20-30km de vélo intra muros à Marseille le samedi et le dimanche, N, c’est nuit).
Enfin pour terminer, deux petites analyses graphiques. D’abord l’erreur cumulée en fonction du temps (Offset):
On voit clairement qu’à partir du vingtième jour, la montre devient moins exacte (la pente devient plus abrupte), pourquoi, aucune idée, je n’ai rien fait de particulier.
Dernier graphique qui représente la variation entre deux mesures successives, donc en pratique la variation nuit/jour:
Les points s’équilibrent autour du 0 de l’axe des ordonnées, et en général, la montre rattrape la nuit la déviation plus importante constatée le jour.
J’espère que cela vous a plu.
Cette petite note m’a fait réviser quelques notions de statistiques et de leurs représentations graphiques, et cela m’a fait un bien fou.
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Pour en savoir plus:
un thread hallucinant (un autre) sur la précision de la technologie Spring Drive, je vous conseille notamment les posts de l’utilisateur BrianBinFL.
Un sous-forum de FAM dédié à la précision et la chronométrie.
Merci, très intéressant, ça me donne envie de faire la même chose (sans aller aussi loin) avec ma seiko kinetic qui n’est pas mécanique mais, à vue de nez, assez précise.
Concernant l’écart jour nuit, (feu) mon horloger m’avait dit qu’il mesurait l’écart en position horizontale, puis l’écart en position verticale (contraintes mécaniques plus fortes) avant d’actionner la flèche de réglage du chronomètre en prenant en compte la moyenne des deux écarts mesurés.