Les formations sur l’auto-INR, c’est fini.

Après pas mal d’hésitations, nous (avec l’IDE qui s’est lancée dans l’aventure avec moi) avons décidé de jeter l’éponge et d’arrêter les formations à l’utilisation du Coaguchek que nous faisions aux patients porteurs de valves mécaniques.

J’ai parlé de ces formations ici, ici et ici.

Tout d’abord, je n’ai aucun regret de m’être lancé dans l’aventure. L’auto mesure de l’INR est un concept séduisant, d’un point de vue technique et humain. Roche Diagnostics a été un partenaire dans l’ensemble tout à fait fiable et réactif (si j’ose dire). Les formations pratiques ont permis, je l’espère, de corriger les nombreuses connaissances erronées des patients, que nous avons été assez effarés de constater.

Nous jetons l’éponge, non pas pour un problème de fiabilité de la mesure, ni même pour une difficulté technique, mais plutôt parce que, au fil du temps, nous sommes devenus mal à l’aise pour répondre aux interrogations des patients. Probablement par méconnaissance, mais finalement ni les explications de Roche, ni celle d’une distinguée hématologue ne nous ont rassurées, mais surtout par ce que je pense être une approche de l’utilisation de l’auto-INR, déficiente de notre part.

Le concept de l’auto-INR est de ne plus faire ses INR au labo, à l’exception d’un double contrôle tous les 6 mois, contrôles requis par la loi.

Notre approche a été de ne pas dissuader voire de proposer à nos patients de faire des doubles contrôles, en tout cas en début d’utilisation.

Les patients ont effectué ces doubles contrôles d’autant plus facilement qu’il n’est pas simple d’arrêter de faire des prises de sang, ô combien importantes, faites souvent dans le même labo depuis 5, 10, 20, 30 ans.

De notre côté, nous étions curieux de comparer les deux INR, celui du labo et celui du Coaguchek.

Nous avons formé nos patients pour le mieux, leur expliquant comment se prélever et le cas échéant, l’importance de limiter au maximum le délai entre les deux mesures. Nous avons toujours conseillé à nos patients d’apporter leur Coaguchek au laboratoire.

La formation de Roche n’a absolument pas éludé le problème de la discordance entre les mesures (définie par une variation supérieure à 15%), qui est due le plus souvent à la différence entre les thromboplastines utilisées par le Coaguchek et les laboratoires de ville. La thromboplastine du Coaguchek est recombinante humaine, celle des labos de ville est le plus souvent animale. je crois savoir que les CHU utilisent plutôt une thromboplastine recombinante humaine.

La corrélation est parfaite quand les deux thromboplastine sont recombinantes humaines, comme l’illustre le graphique montré à la formation:

Nous nous vite aperçus que la corrélation était nettement moins bonne dans notre expérience:

L’INR moyen donné par le Coaguchek est de 3,68, contre 2, 83 pour le labo pour une série de 41 doubles mesures. La différence moyenne observée est de 17,46%.

Seules 36,59% des doubles mesures montraient une discordance de moins de 15%. À vue de nez la corrélation est excellente à condition de de pas observer un INR supérieur à 2,5-3 sur Coaguchek.  

Je me suis demandé si cela pouvait influer sur la conduite à tenir clinique. En utilisant les cibles des patients, j’ai regardé dans quel pourcentage l’INR des deux techniques induisait la même conduite à tenir (je n’ai pas pris en compte les conduite à tenir en cas d’INR très élevés, selon les recos HAS pour pas compliquer les choses). Par exemple, pour une cible à 2,0-3,0, si le Coaguchek répond 2,8 et le labo 2,4, la conduite à tenir est la même. Mais si le Coaguchek répond 3,2 et le labo 2,8, pour le même delta de 0,4, la conduite à tenir n’est pas la même. 

Et bien, dans 51,22% des cas, seulement, la conduite à tenir était la même.  Et c’est exactement là que ça devient douloureux. Que dire au patient? Augmenter? Diminuer? Même dose? Roche conseille de contrôler au CHU là, où les thromboplastines sont recombinantes humaines. Mais en pratique pour les patients, ce n’est pas simple, d’autant plus que le Coaguchek portait en lui la promesse d’une plus grande liberté.

Nous étions début août quand nous avons commencé à nous poser des questions existentielles avec mon IDE. Roche Diagnostics a alors émis une alerte sur ses bandelettes. C’est ballot, pour un fabricant de réactifs d’avoir loupé une modification des normes OMS sur les… réactifs, non? Notre confiance a flanché, mais nous avons adressé l’alerte à tous nos patients, et nous avons modifié nos topos.

Supprimer tous les INR supérieurs à 4,5, les seuls a priori faussés par le changement de norme OMS a nettement amélioré la situation, au moins du point de vue des données. D’un point de vue clinique, c’est une autre histoire.

L’INR moyen donné par le Coaguchek est de 3,11, contre 2, 68 pour le labo pour une série de 32 doubles mesures. La différence moyenne observée est de 11,11% (contre 17,46%). La discordance observée est inférieure à 15% dans 46,88% (contre 36,59%) des doubles mesures. On observe une concordance de la prise en charge (toujours hors INR très élevés) dans 59,38% des cas (contre 51,22%).

Malgré les mesures correctives, en attendant la large diffusion des nouvelles bandelettes, la différence observée est supérieure à 15% dans 53% des cas et surtout on ne sait toujours pas quoi dire aux patients dans 40% des cas.

J’ai échangé avec Roche qui m’a précisé que l’INR était mal standardisé, et que des variations importantes existaient en fonction du type de thromboplastine utilisée, et cela hors utilisation du Coaguchek. Ils ont aussi proposé des cibles adaptées pour le Coaguchek. Nous nous sommes enfin dits que nous pourrions attendre que les anciens lots de bandelettes deviennent caduques (15 mois), pour ne plus à avoir à expliquer aux patients que les INR>4,5 sont faux (ça fait mauvaise impression, croyez-moi) mais le coeur n’y est plus, et comme je l’ai dit en début de note, nous sommes un peu mal à l’aise quand les patients appellent et qu’ils ne savent pas quoi faire.

Pour terminer, nous avons eu environ 10% d’abandon pur et simple de l’utilisation du Coaguchek, du fait des discordances le plus souvent mais nous avons aussi des patients absolument ravis de l’appareil (en général, ils ont entre 2-3 d’INR, comme une montre suisse).

Le Coaguchek est utilisé apparemment sans souci chez les enfants depuis 2008. Malgré cela, nous n’avons pas osé (eu le courage?) de faire le saut de la foi (oui, je regarde mes ados jouer à Assasin’s Creed) avec les patients pour un contrôle intégral par auto-INR. 

Je pense qu’il faut se faire son idée soi-même, mais avoir bien conscience de l’amplitude réelle des discordances, et être prêt à les prendre en charge. Là-dessus, nous sommes certainement plus à blâmer que la technique.

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Je souhaite adresser un immense remerciement à Mme Agnès Pelladeau qui m’a fait connaitre cette technique ainsi qu’aux équipes de Roche Diagnostics qui nous ont accompagnés tout au long de cette aventure.

Les ciseaux de Covington

J’aurais pu appeler cette note Eux et Nous, mais j’ai préféré un titre hommage à un article du NYT qui m’a particulièrement marqué.

Une vidéo qui circulait partout la semaine dernière (depuis, nous sommes passés par trois autres scandales) montrait la confrontation entre un adolescent blanc portant une casquette MAGA rouge et un amérindien lors d’une manifestation à Washington. Cette vidéo a provoqué un torrent de commentaires, parfois violents, et même des menaces envers l’adolescent et sa famille. Elle a profondément scindé l’opinion américaine.

Les anti-Trump, notamment la majorité des médias, ont stigmatisé l’attitude jugée méprisante, voire hostile du jeune homme en l’associant à la politique xénophobe de Trump. Ce qui, de toute évidence, est stupide puisque les amérindiens étaient présents aux EU bien avant l’arrivée des européens. Les pro-Trump ont, de leur côté, jugé que cette histoire était une fakenews montée à partir de rien par les médias libéraux.

Or, il semble que l’histoire soit sensiblement plus nuancée que la narration simpliste mais politiquement opportune qu’ont bien voulu en faire chacun des deux camps antagonistes, toujours prêts à faire parler la poudre pour terrasser l’ennemi. Aux dernières nouvelles, le groupe d’amérindiens se serait interposé entre les adolescents et un autre groupe, pour le coup agressif, lui. Les versions de l’homme amérindien ont beaucoup varié au fil du temps, et plus personne ne sait si l’adolescent était agressif ou simplement nerveux.

Le journaliste du NYT, journal violemment anti-Trump, a commencé son article de manière assez classique, en constatant la déchirure profonde au sein de la société étasunienne que Trump a révélé, accentué ou provoqué (en fonction des interprétations). Il a pris une image assez parlante, celle de ciseaux qui coupent irrémédiablement une population en deux blocs irréconciliables.

Comme le jeune homme vient d’une école catholique située à Covington au Kentucky, il utilise l’expression Convington Scissor, les ciseaux de Covington.

L’article, jusque-là, très convenu, il faut bien le dire (il y a une déchirure dans la société, travaillons ensemble pour la réparer), prend alors une tournure bien plus excitante quand le journaliste se fait interpeller par sa conscience.

Comme toutes les consciences, elle lui dit des choses désagréables.

Elle lui dit que la soi-disant presse non-partisane, dont il fait partie, est tout sauf objective, qu’elle s’empare de la moindre anecdote apparemment compromettante pour le camp pro-Trump, sans faire aucune vérification, puis la diffuse en boucle 24h/24. Ce qui évidemment donne du grain à moudre à l’autre camp. Et tout cela ne va faire qu’empirer.

Le journaliste lutte contre sa conscience qui, en conclusion, lui demande perfidement si il compte fermer son compte Twitter afin de briser le cercle vicieux.

Parfois, je me pose aussi la question de fermer Twitter, tellement il devient difficile de trouver un sujet non clivant.

Même parler de la météo devient risqué.

Il y a toujours un cavalier blanc, un pur, un opprimé ressenti, qui vient vous montrer du doigt, voire vous jeter des pierres.

Je suis tellement devenu neutre, que j’en suis devenu insipide. Un jour j’ai parlé de chamanisme et une pure m’a montré du doigt. 

Je voudrais parler de l’homéopathie, de mes patients racistes, de médecine, mais les pénibles et les luttes qui leur permettent d’exister m’épuisent.

Une fois, j’ai eu le malheur d’utiliser une expression bien anodine, mais qui a néanmoins réussi à ébranler une institution jusqu’à ses pinacles. On m’a convoqué et démontré très savamment que j’étais misogyne (si si, je vous le jure) en me faisant un cours d’étymologie, et que même si par miracle, je ne l’étais pas, c’était tout comme, car j’étais un personnage public (si si, je vous le jure aussi), et que c’était grave pour l’institution (pourtant solide).

Un jour (il y a pas mal de temps maintenant), grande folie et suprême affront pour les professionnels de la profession, j’ai osé parler de patients.  Une note entière m’a démontré que j’étais paternaliste et hautain (comme tous les médecins, non?).

Un autre pur n’a pas trop apprécié que je ne donne pas mon avis sur un sujet pourtant impérativement passionnant. Même la non-opinion devient blâmable. A un moment, je me suis cru dans un Tontons flingueurs vaguement angoissant: ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous (bruits de silencieux).

On ne juge plus un être humain dans toute sa complexité, mais la case dans laquelle on a suprêmement, de la hauteur de toute sa considérable intelligence, jugé qu’il devait être classé, rangé.

Mene, Mene, Tekel u-Pharsin.

Eux contre nous, pas toi et moi.

Le monde fait peur, on se sent en danger, alors on croit se rassurer en le normalisant, en le découpant en petites cases simples, bien délimitées laissant croire qu’on l’appréhende quand même un peu. Eux d’un côté, nous de l’autre, simple et rassurant.

Et comme l’inculture progresse à grands pas, rendant de plus en plus difficile toute analyse des nuances du monde, et, facteur aggravant, l’analyse de sa propre place dans ce monde, le phénomène ne peut que s’amplifier. Jusqu’à ce que…

Chaque sujet, même le plus anodin est livré avec ses ciseaux de Covington qui coupent le monde en deux camps irréconciliables, eux et nous. La polarisation est telle, que même les gens, dont je me sens proche, ceux de mon camp, pour céder à la polarisation ambiante, tournent en boucle, deviennent intolérants à la discussion et finalement totalement ineptes, exactement comme ceux d’en face. Parce que, à force de polarisation, on finit toujours par devenir pires que ceux d’en face, exactement comme le NYT et ses journalistes.

Alors je bloque certains mots, je me désabonne même de gens que j’aime bien, et je ne parle plus que de rien.

Sachez-le, le on ne peut plus rien dire n’est pas la phrase type des extrémistes, mais c’est celle aussi des modérés. Et cela, ce n’est pas forcément bon signe pour l’avenir.

Sélection de BD

Je ne suis pas très BD, donc cette note doit être prise avec des pincettes.

Parfois, on fait des rencontres sympas dans les librairies, et parfois c’est le coup de cœur, même inattendu, pour un genre qui m’a toujours un peu laissé froid.

Ce samedi, j’ai découvert une BD sympa et j’ai eu un vrai coup de cœur.

Je ne parlerai de Hitler un tyran en images, qui m’a beaucoup plu, mais que je n’ai pas fini de lire (et incidemment car ce n’est pas une BD).

La BD sympa, c’est Babylon Berlin, qui est l’adaptation BD par Arne Jysch d’un roman de Volker Kutscher qui a par ailleurs inspiré une série qui passe sur Canal+.

Ce roman noir se déroule à Berlin dans les années 20. Ceux qui connaissent la Trilogie berlinoise de Phlipp Kerr ne seront pas trop dépaysés. Pas assez, d’ailleurs, car le défaut principal de cette BD est son manque systématique, quasi voulu, d’originalité.

On retrouve absolument tous les éléments déjà mis en place par Philipp Kerr, et probablement d’autres que je ne connais pas:

  • Un bon flic un peu paumé/à la dérive qui boit et/ou se drogue.
  • Une hiérarchie bicéphale:  hostile, voire, qui carrément fait partie des méchants et une hiérarchie bienveillante et paternelle. En général, à la fin de l’histoire la seconde sauve de justesse le héros et coffre la première.
  • Une visite obligatoire des égouts/bas fonds/tripots de Berlin.
  • Le héros se fait violemment torturer par les méchants (par les gentils, ce serait original).
  • Quelques nazis bien méchants et sadiques (gentils et bienveillants, ce serait aussi original) sont disséminés dans le décor. Ne pas oublier au second plan la montée du nazisme ou, si l’action se passe après guerre, la fuite des nazis.
  • Une ou deux beautés qui partagent assez rapidement le lit du héros (typiquement le truc qui n’arrive jamais en vrai).
  • Le héros porte un imper, un Stetson, et un Lüger P08.
  • Un méchant de second plan est pris de remords, prêt à tout cracher sur le réseau, mais il se fait desouder juste avant de pouvoir le faire.
  • Un trésor fabuleux/une information vitale que recherchent deux, voire trois factions ennemies (et si possibles violentes) en plus du/des gentil(s)

On y retrouve aussi un défaut assez répandu dans les romans noirs, l’application considérable que mettent les auteurs à embrouiller leur récit et à sortir de leur chapeau des Deus ex machina improbables quand le héros semble perdu.

Vous devez vous demander ce que j’ai alors aimé dans cette BD.

En fait, j’ai bien aimé le dessin, son dynamisme,  son jeu d’ombre et de lumière, bien nécessaire dans une BD en noir et blanc, mais qui est ici une réussite.

J’ai aussi beaucoup aimé le petit clin d’œil suivant à Edward Hopper:

Mais mon véritable coup de cœur a été pour le tome 1 de Révolution de Younn Locard et Florent Grouazel (Editions Actes Sud/L’an 2). Ce premier tome sur trois, d’une fresque qui s’annonce immense est déjà épique. Les dessins sont souvent magnifiques, inventifs et les scènes d’ensemble fourmillent de détails. 

Hormis un personnage un peu caricatural qui me fait penser à Fanfan La Tulipe (j’espère qu’il va prendre de l’épaisseur dans la suite), les acteurs de cette fresque sont ambigus, complexes, terriblement humains. C’est l’humain qui caractérise  ce récit, qui se déroule pourtant lors d’un évènement immense, la Révolution. En effet, l’histoire est centrée sur 3-4 personnages, de parfaits inconnus, qui subissent le cours des évènements et observent leur monde s’effondrer sans rien pouvoir/vouloir y faire. C’est ça qui fait la force de cette BD. Aucune figure historique majeure n’est au centre du récit, on ne les voit que de loin: la silhouette de Mirabeau,  de Robespierre, à peine plus Lafayette…

Dans ce récit, aucun géant de l’histoire ne nous emmène de force ou volontairement dans son sillage, nous donnant l’illusion finalement rassurante d’un destin tout tracé. Nous suivons et nous nous identifions d’emblée à ces petits êtres humains perdus au bord de l’abîme.

Que vont-ils devenir? J’attends avec impatience la suite…

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