Je vois une patiente pour des palpitations qui s’avèrent être fonctionnelles. En creusant un peu, leur survenue coïncide avec l’anniversaire de la mort de son père survenue il y a quelques années. Elle me raconte alors comment cela s’est passé.
Son père était atteint d’un cancer gastrique en stade terminal, qui a nécessité une nième hospitalisation. Le médecin qui l’a alors pris en charge ne le connaissait pas. La famille a demandé à ce médecin de calmer les souffrances et je présume, mais tout est assez flou dans ce genre de situations d’abréger le calvaire de leur père. Je ne sais pas si les choses ont été dites clairement et même si elles ont été énoncées.
Quoiqu’il en soit, le médecin a fait installer une pompe à morphine et a demandé à la famille d’appuyer régulièrement sur la poire afin « d’en finir », en précisant qu’une fois que le processus serait enclenché, il serait irréversible. La famille s’est rapidement concertée et un enfant s’est désigné pour appuyer sur la poire, heures après heures. Sur la fin, un membre de la famille, plus âgé a pris le relais, pour partager la responsabilité, et a appuyé ce qui fut une dernière fois.
Depuis lors, celui qui s’était initialement désigné s’est retiré petit à petit d’une vie familiale minée par cet évènement.
J’ai été impressionné par ce récit dont je n’ai jamais rien entendu de semblable. La patiente qui traîne cette histoire depuis des années a été très étonnée quand je lui ai dit que, à ma connaissance, cela n’était pas la norme médicale de faire pratiquer une sédation terminale par la famille. Je lui ai conseillé de réunir sa fratrie et de mettre à plat cette histoire.
Je ne souhaite pas particulièrement vous décrire ma réaction, pour essayer de rester neutre le plus possible. Néanmoins la prise en charge médicale me semble être très éloignée du credo de la loi Leonetti (récemment modifiée):
Je ne t’abandonnerai pas.
Je ne te laisserai pas souffrir.
Je ne te prolongerai pas de manière anormale.
Que pensez-vous de tout cela?
Diminuer les souffrances est le rôle du soignant.
Cette assertion très hypocrite se substitue à une réalité en fin de vie, réduire la souffrance abrège la vie. Cette décision devrait être prise avec le patient, AVANT la fin de vie. Elle est en fait trop souvent « précipitée » et prise avec l’entourage. Personne ne veut voir souffrir un proche, mais personne ne devrait avoir à assurer la responsabilité de ce choix. La décision partagée concerne le choix, pas la mise en oeuvre des moyens d’y répondre qui sont eux du ressort des soignants. Mais surtout des moyens sont possibles pour en limiter l’effet dévastateur. La pompe à morphine gadget très utile pour le soulagement des douleurs aiguës n’a pas sa place lors des fins de vie à domicile. Elle est compliquée. J’ai déjà du éplucher le mode d’emploi pendant de longues minutes pour en comprendre les réglages. Mais surtout elle est totalement inadaptée. L’intervention qu’elle nécessite ne peut être réalisée par le malade, son utilité est donc nulle dans ces circonstances. Il existe des alternatives techniques. Les seringues auto pulsées permettent la délivrance continue de morphine, et si besoin de benzodiazépines conduisant à une sédation lente.
J’ai essayé de rester objectif mais comme je l’ai ressenti en lisant ton post, j’ai eu autant de mal que toi. Outre la bientraitance il existe une notion de non maltraitance, qui ne me semble pas présente dans cette histoire
Je rejoins Dr Niide, pourquoi une pompe à morphine plutôt qu’un pousse-seringue ?
La question que je me pose est surtout pourquoi des palpitations? Qu’est ce qui a généré le problème chez cette patiente? Qu’aurait-elle souhaité?
Pour ce qui est du membre de la famille « minée » par ça, j’avoue ne pas comprendre… ( et ce n’est qu’une interprétation de ce qui s’est passé).
Laisser un gamin appuyer sur la poire, on croit réver!
Finalement le mieux c’est quand même quand le patient fini par mourir tout seul après d’atroces souffrances car:
– on est content pour lui, il souffrait tellement
– personne n’a eu à prendre de décision (ouf!)
J’ai connu ce cas personnellement, je sais donc de quoi je parle.
« Un enfant » doit s’entendre comme un descendant du patient. J’imagine qu’il devait s’agir d’un adulte, quand même…
Par expérience….PHAR pendant 40 ans …( CPEM…1963 ) j’ai toujours estimé qu’il y avait des responsabilités qui étaient l’honneur de notre engagement, et la source de culpabilité écrasante dans les familles de nos patients !
Le seul partage possible et nécessaire était celui au sein de l’équipe, nécessaire pour déculpabiliser nombre de nos collaborateurs !
Mais s’il y avait, dans un consensus collégial, un poids nécessaire pour sortir d’un équilibre exploré c’était ma responsabilité .
L’Ethique permet de pallier l’absence de Lois sur le sujet: elle apporte les repères, les « cairns » nécessaires pour compenser des personnalités trop marquées ; mais les dégâts engendrés par des délégations hypocrites au sein des familles doivent rester présents au moment du choix : » Est régis tueri cives » …C’est le propre, l’essence, de la position de Roi que de prendre personnellement soin de ses citoyens !!
Je suis belge et en droit belge l’ euthanasie a été dépénalisée depuis plus de 10 ans. Excellente loi, avec de bonnes balises et qui permet à tout un chacun de rédiger une déclaration anticipée au cas où il ne serait plus capable de formuler son souhait : https://www.bruxelles.be/dwnld/65596080/FORMULAIRE%20EUTHANASIE.pdf
J’ai l’impression que comme souvent, c’est le silence qui fait le plus de dégats. Celui qui s’isole, ceux qui le laissent faire. Tu as bien fait de conseiller à ta patiente d’en parler.
Pour ce qui est du rôle du soignant, c’est effectivement louche de laisser la famille responsable du geste.