Fluindione et warfarine

Cela fait des années que je lis la Revue Prescrire, et ça fait des années qu’elle rabâche qu’il faut plutôt prescrire de la warfarine que de la fluindione.

J’en avais même parlé ici en 2011.

La raison principale en est le risque  de néphropathie tubulo-interstitielle immunoallergique liée à la prise de fluindione.

En mai 2014, le comité technique (CT) de pharmacovigilance de l’ANSM a rapporté les résultats dune étude du CRPV de Lyon (cocorico, et amitiés à Thierry Vial) sur les risques non-hémorragiques des AVK:

Les atteintes les plus fréquemment rapportées sont dermatologiques (36,6%) et rénales (33,3%). La warfarine se distingue par une incidence plus élevée d’EI dermatologiques (58,3% des cas vs 32.8% pour la fluindione). En revanche, les atteintes rénales sont plus fréquentes avec la fluindione (36,7% des cas vs. 12,5% des cas avec la warfarine).
Le taux de notification estimé pour l’ensemble des EI d’intérêt est de 1,27/ 10 000 patients pour l’acénocoumarol, 2,8/ 10 000 patients pour la fluindione et 1,9/10 000 patients pour la warfarine. 

La fluindione possède un profil de risque moins bon que les autre AVK et pourtant, c’est cette molécule qui est majoritairement prescrite en France.

La très nette prépondérance des prescriptions de fluindione en France parmi l’ensemble des antivitamines K (environ 80%) paraît donc particulièrement discutable en raison de ce profil particulier d’EI de ce médicament qui n’apporte pas d’avantage démontré par rapport à la warfarine.

Cette prédominance de prescription sur le marché français n’atteint pas 80%. En 2013, la fluindione représentait 66% des boites vendues, contre 26% pour la warfarine, et 8 % pour l’acénocoumarol). (Source)

Le rapport souligne aussi la gravité de l’atteinte rénale liée à la prise de fluindione:

Pour la fluindione, la sévérité de l’atteinte est quasi constante (stade ≥ 3A) avec un DFG médian de 11,5ml/min. Des facteurs de risque (IRC, hypertension artérielle, diabète, artérite, sepsis) sont associés dans 87% des cas. L’atteinte a évolué vers la guérison ou une amélioration dans 45% des cas avec la fluindione et dans 1 cas sur 3 avec la warfarine. Elle a persisté dans 43% des cas avec la fluindione et dans 2 cas sur 3 avec la warfarine. Deux décès ont été rapportés avec la fluindione. Dans 35 cas avec la fluindione, la biopsie rénale retrouvait un aspect de néphropathie tubulo-interstitielle immunoallergique.
On retrouve 59 cas « purs » (77%) avec la fluindione et 2 sur 3 avec la warfarine. La notion d’une réintroduction positive est identifiée dans 8 cas avec la fluindione.
Ces atteintes rénales sont soit isolées soit associées à des signes d’hypersensibilité (16 cas pour la fluindione, avec toutefois un score Regiscar ≤ 2).
A noter que 45 patients ont bénéficié d’une prise en charge spécifique (dont 44 sous fluindione):
– Epuration extrarénale (EER) dans 9 cas (dont un patient ayant nécessité 8 séances d’EER) ;
– Corticothérapie systémique dans 41 cas (dont 5 associés à une EER) ;
– Hémodialyse chronique dans 2 cas.

Cette gravité est notamment liée à la méconnaissance de cet effet secondaire qui entraîne un diagnostic très tardif de l’imputabilité de la fluindione.

Comme je le notais en 2011:

Le tableau apparait de 2 à 6 semaines après une primo-introduction, parfois plus, plus rapidement en cas de ré-introduction. On observe parfois de la fièvre, parfois un syndrome cutané, plus rarement des arthralgies. Ce tableau peut alors évoquer un processus allergique systémique. La clinique est dominée par une altération de l’état général, un syndrome oedemateux secondaire à une altération sévère de la fonction rénale. On note souvent une hyperéosinophilie. En général, personne ne pense à la fluindione.

La lecture du compte-rendu du CT est passionnante car on sent bien que ses membres aimeraient bien faire quelque chose pour favoriser la warfarine, mais la position dominante « atavique » de la fluindione et d’autres considérations plus pratiques/politiques les troublent:

L’ANSM pourrait inciter à l’utilisation de la warfarine en première intention, sans changer le traitement des patients déjà équilibrés sous fluindione pour autant, afin de minimiser les risques non-hémorragiques spécifiques à la fluindione.[…]

Même si ces risques spécifiques à la fluindione sont reconnus, il apparaît nécessaire de favoriser la prescription des coumariniques, en particulier la warfarine, compte tenu de sa longue demi-vie. Le CRPV rapporteur a proposé la réévaluation du rapport B/R de la fluindione. Cependant, un des arguments donnés pour ne pas remettre en question ce rapport bénéfice/risque est qu’il existe des patients plus faciles à équilibrer sous fluindione que sous warfarine. Certains articles ont été publiés à ce sujet, mais ils sont contradictoires. Le second argument donné est le risque de report de prescriptions vers les anticoagulants oraux directs (AOD) en cas de retrait de la fluindione.[…]

A noter que la fluindione, qui représente 80% des prescriptions d’AVK, est bien connue et les prescripteurs sont habitués à son maniement. Les membres du CTPV ont ainsi exprimé leur inquiétude quant aux dangers liés à un changement brutal de pratique en cas de retrait de la fluindione du marché. Cependant, le risque d’erreur médicamenteuse lié à l’utilisation du Previscan® est également important du fait de la complexité des schémas posologiques.

En attendant une décision de la HAS/ANSM, je me suis lancé récemment dans la primo prescription de warfarine. Le seul argument qui me retenait encore, la bonne connaissance du maniement de la fluindione par les prescripteurs ne me paraît plus suffisant.

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Fluindione : atteintes cutanées et rénales graves d’origine immunoallergique. Rev Prescrire 2015 ; 35 (379) : 354

Bon usage des médicaments antivitamine K
(AVK). Actualisation – Juillet 2012. ANSM

Prise en charge des surdosages en antivitamines K, des situations à risque hémorragique et des accidents hémorragiques chez les patients traités par antivitamines K en ville et en milieu hospitalier. HAS 2008 (un excellent guide pratique+++)

13 Replies to “Fluindione et warfarine”

  1. Surtout que franchement, la gestion de la warfarine n’est pas compliquée, il suffit de savoir que la demi-vie est plus longue, et d’adapter toute décision d’adaptation thérapeutique en fonction.
    Et la stabilité est quand même, chez la plupart des patients, très appréciable avec la possibilité d’espacer la surveiller biologique.

  2. Merci pour cela. Mais pourquoi 98 % des cardiologues prescrivent PREVISCAN en première intention ?
    Pourquoi ne pas avoir donné le nom de la marque ?
    Les effets indésirables doivent être dénoncés en noms de marque pour que les patients sur internet sachent immédiatement de quoi il retourne.
    Bonne soirée.

    1. Bonsoir, pourquoi prescrivons-nous tous du Préviscan reste un grand mystère pour moi. Pas tellement l’effet mouton de Panurge, mais surtout l’origine du phénomène.
      Sinon la marque est citée dans le texte, mais certes pas dans le titre…

  3. warfarine, voir coumadine, ça sonne plutôt année 70, previscan, c’est mieux pradaxa alors là c’est top un mélange habile entre la mode et l’assurance!

  4. Expérience d’une mère avec enfant sous AVK :
    Sintrom pendant plusieurs années : INR totalement instables
    Previscan peu de temps : INR instables
    Coumadine depuis plusieurs années : INR stables en grande majorité. (Les valeurs en dehors de l’intervalle préconisé s’expliquant facilement ce qui n’était pas le cas avec le Sintrom ou Previscan)

    Mesures réalisées depuis 2002 avec un autotest de l’INR ce qui facilite les contrôles, un meilleur suivi sans parler du confort de vie apportée.

    Si le Previscan est majoritairement prescrit en France, peut être est ce dû à sa nationalité française….

  5. Nous sommes trois au cabinet à prescrire de la coumadine….et de changer pour la coumadine toutes les prescriptions initiales de fluindione lorsqu’elles ne sont pas équilibrées, ou lorsque la prescription initiale est un AOD après avoir pesé les bénéfices et risques avec le patient bien sûr. Mais on a parfois l’impression d’être dans le petit camp retranché du dernier gaulois dénommé Astérix. Merci pour ce réconfort: nous ne sommes plus seuls! En Allemagne, à coté de là où j’exerce ( à15km) ils ont les autotests de l’INR…. et pour le confort des patients c’est nettement mieux.

    1. Et comment réagissent les confrères spécialistes, cardiologues en particulier, à la modification de leurs prescriptions initiales croissantes de NACOs / AODs (prescrire en seconde intention… connais pas !) ?
      Là où j’exerce, j’ai parfois l’impression de commettre un meurtre quand j’interromps ces prescriptions… Avez-vous dû « communiquer », faire du lobbying, pour faire accepter ces changements ?

      1. Exact. Pour les moins de 18ans un seul autotest pris en charge intégralement par la sécurité sociale, du moins jusqu’à ce jour.

        Lobbying des labos : Ce que beaucoup pensent…
        Pour prouver le contraire, une prise en charge pour les adultes serait la bienvenue !

      2. Bonjour.
        Sous Préviscan depuis 2013, avec une cible à 3.5 avec 2 ischémies sur les artères circonflexe et droite qui m’ont causé de nécroses des ventricules, surtout le gauche, je suis porteur d’une valve mitrale métallique et depuis 2016 d’un DFI. Il semblerait que les appareils du type Coagulcheck et autres soient pris en charge pour les adultes porteurs de valves métalliques depuis 2017. Seul leur prix repousse la CPAM ( entre 700 et 950 €) mais il est vrai que pour les patients ayant de TPINR instables comme moi, c’est plus sécurisant car un délai de 1 mois entre chaque contrôle est trop long.

  6. personnellement je prescris de la warfarine depuis mon installation (6ans) et j’ai l’habitude de la manier. Ce n’est pas le cas de l’hôpital local qui s’y est mis il y a quelques mois : contrôle de l’INR au 3e jours, INR bas, posologie augmentée en conséquence, contrôle à 48 h, INR encore juste, nouvelle augmentation, contrôle à 48 h : INR à 10…ça marche a tous les coup, alors qu’il suffit de ne faire le 1er INR qu’au 7e jour…

  7. J’ai fini par trouver un cardiologue (le 5eme depuis un AIT en 2011 et une insuffisance cardiaque en 2014) capable d’entendre mon souhait de passer de previscan à coumadine. J’avais des problèmes de peau -moins avec warfarine, donc.
    Mon cardio le plus près de chez moi a dû répondre à un dentiste qui lui demandait un protocole pour 5 (!) extractions de dents. Chacun s’est renvoyé la balle (moi), m’expliquant que c’était à l’autre d’établir le protocole.
    Le dentiste a demandé au cardio si coumadine et previscan sont de la même molécule; le cardio a répondu oui. C’est une erreur.
    Le cardio a écrit un protocole (quasi illisible) , oubliant l’ordonnance pour le lovénox et les soins à domicile pour INR et piqûres sur 5 jours (extractions de 3 puis 2 dents programmées par la secrétaire et moi qui veillais à ne pas accepter le RDV du vendredi … en cas d’hémorragie ).
    J’ai vu aussi plusieurs dentistes et ai décidé au bout de plus d’un an de recherches d’opter pour UNE seule extraction par un dentiste « branché » qui ne fait pas arrêter l’AVK.
    Ou bien je suis parano, ou bien je suis sur la bonne piste après bien des investigations. Ou bien les 2 et ça me permet d’avoir une expérience intéressante aussi pour les autres.
    Si quelqu’un est curieux de connaître la suite, je répondrai volontiers

    .

    1. Je dois être super branché car je ne touche pas au avk depuis des années. Le protocole est simple inr du matin, si correct alors extraction, collagène,suture, exacyl.
      Par contre ce qui m’embête c’est quand je vois un patient de 83 ans ou le médecin geriartre remplace previscan (donné par le cardio) par equilis…
      Mais ceci est une autre histoire.

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