MSD, les médecins et les valises de biftons

Libération a obtenu l’enregistrement d’une réunion interne de cadres de MSD France (une filiale de Merck) qui s’est déroulée en juin dernier.

Vous pouvez écouter l’enregistrement ici, et lire un autre article de Libé sur le sujet ici. Ma première réaction a été de me dire que quelqu’un devrait saisir le Codeem sur ce point de déontologie.

Puis après avoir bien rigolé en pensant à cette bonne blague, je suis passé à autre chose.

Est-ce que cet enregistrement est choquant?

Oui et non.

Oui, car il peut illustrer la façon dont une certaine partie de l’industrie nous voit, qui est bien entendu aux antipodes de ce qu’elle voudrait bien nous faire croire.

Non, car à moins d’être un médecin qui croit encore au pays des Bisounours de l’industrie pharmaceutique (comme celui qui s’est fait modifier son diaporama par Servier, à l’insu de son plein gré ?), cet enregistrement n’apporte rien de nouveau. L’industrie raisonne en terme de parts de marché à conquérir ou à défendre, de leaders d’opinions favorables, d’autres défavorables, de stratégie commerciale, certainement pas en terme d’êtres humains soignants.

Maintenant, cet enregistrement « volé » reflète des opinions exprimées en privé, dans une ambiance conviviale, sans aucun filtre. Ces paroles ne sont pas forcément non plus le reflet exact de ce que pensent les interlocuteurs. Il suffirait de mettre un enregistreur en salle de garde pour être horrifié de la façon dont les médecins parlent des patients ou de leurs confrères. On dit des horreurs pour des tas de bonnes raisons, mais on ne les pense pas nécessairement. Au début où je siégais à l’Afssaps, j’ai fait une plaisanterie horrible (dont je ne pensais pas un mot) sur un traitement allongeant le QT et des patients porteurs d’une maladie, horrible elle-aussi. J’ai vu à la mine consternée de mes collègues que j’avais dépassé leurs limites. Cela aurait pu aussi faire les délices de Libé qui en aurait fait des tonnes sur le mépris généralisé du patient par l’Agence. Maintenant, je me censure (un peu) en réunion.

J’ai donc bien aimé l’humour nonsense et transgressif du directeur médical de MSD. J’aurais été à sa place, j’aurais pu faire pareil. A la limite, ce qui m’a le plus piqué les oreilles est l’horrible accent parigot du directeur médical des affaires hépatiques (drôle de libellé trouvé par Libé).

Les laboratoires n’ont jamais été nos amis, ni ceux de nos patients. Ils jouent pour leurs propres intérêts. Si ces derniers convergent avec les notres, tant mieux, sinon, et bien tant pis… Le budget communication de chaque laboratoire dépensé pour nous faire croire le contraire est probablement inversement proportionnel à la force de ces constatations. Qui a le plus arrosé les cardiologues ces dernières années?

Bref, cet enregistrement ne casse pas une patte à un canard. Il faut être bien naif ou bien hypocrite pour s’effaroucher en l’écoutant.

7 Replies to “MSD, les médecins et les valises de biftons”

  1. Disons que cet enregistrement, dans le contexte actuel (Servier, AFSSAPS …) illustre un peu plus le cynisme de certains.
    Cela a le mérite de « déniaiser » certains mais aussi de montrer que passer d’un bord à l’autre, il y a un mépris général du plus faible.
    Pour le mépris, je vous renvoie aux commentaires « sportivement racistes » des quotas de « noirs » dans le foot pro, des grèves et autres actions violentes de salariés menacés dans leur emplois pour amener à une table de négociation une direction ayant déjà organisé la délocalisation etc …

    C’est l’addition des exemples et leur transversalité qui devrait vous faire poser la question : dans quel monde vivons-nous ?
    Oui, les benêts, les idiots, les naïfs et les salauds existent mais tous dans le même bateau et chacun devrait pagayer dans le même sens, au même rythme car un jour ou l’autre « on a tous besoin d’un plus petit que soi »… et ce sont souvent les plus « cyniques » qui appellent le plus et le plus fort à l’aide !
    Dans un autre genre, je vous rapporte cet article d’un blog (si vous me le permettez) qui parle d’un test fort intéressant, sur les biffetons (http://fr.wiktionary.org/wiki/biffeton ) :
    http://mamouchka.lesdemocrates.fr/2010/10/02/petite-lecon-de-sociologie-le-test-ou-largent-rend-indifferent-a-lautre/

    Je vous souhaite une bonne connexion internet, même chez orange !

  2. c’est bien de dépassionner les débats parfois 🙂 merci.

    ceci dit j’ai quand même l’impression que nous sommes en train de prendre un virage avec une plus grosse prise de conscience du « comment ça marche » et je me demande ce que l’industrie va pouvoir inventer de nouveau et de plus ambigu pour mettre leurs produits en avant… probablement encore plus de comm sur les patients, qu’en dites vous ?

    1. Vi, le noyautage des assos de patients me paraît très prometteur, d’autant plus que les pouvoirs publics poussent la roue pour « mettre le patient au centre de son projet de soins »!
      Au niveau individuel, je suis plus pessimiste que toi, de nombreux confrères sont persuadés que les bénéfices liés à la fréquentation de l’industrie sont un acquis social lié à leur statut de médecin!

      1. « de nombreux confrères sont persuadés que les bénéfices liés à …/… sont un acquis social lié à leur statut de médecin »
        C’est hélas une réflexion que j’entends de plus en plus souvent, indépendamment de la compétence, ou du dépassement d’honoraires (sujet particulièrement sensible !).
        Le « statut », une de ces notions à laquelle sont attachés « les notables ». La grandeur du revenu n’a rien à y voir, même si elle aide parfois.
        En ces temps difficiles, quand pèsent les incertitudes sur un secteur d’activité donné, les acteurs économiques se raccrochent à certains « petits privilèges » ou « habitudes » …un reste de leur « sécurité » ou de leur « splendeur ». La flatterie est également un moyen de rassurer les « inquiets ».
        Certains, à force de côtoyer des personnes « importantes » pratiquent une sorte de « mimétisme ». La profession médicale n’y échappe pas, malheureusement.

      2. oui c’est difficile de se détacher des labos… encore plus à l’hopital je trouve.

        avec toutes les réflexions que j’ai pu suivre dans les médias et surtout grâce à vous tous blogueurs-twittos j’ai largement révisé ma position vis à vis des labos… et bien c’est hyper compliqué vis à vis des collègues, des cadres de santé qui organisent des « sympos » et des VM.

        comment faire quand une VM stagne dans la salle de détente de votre bloc pendant toute une matinée ? (<- c'était hyperlourdingue)

        et puis j'ai beau expliqué aux VM qu'un d'entre eux a écrasé mon grand-père ( (c) Jaddo) ils ne comprennent pas le virage. alors j'explique doucement, je vais essayer de ne pas m'enflammer (<- petite tendance personnelle à passionner les choses, chuis un peu le marseillais du Nord 😉 ) mais il y a bcp bcp d'incompréhension

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