Objet connecté, objet innovant?

Il y a quelques temps, j’avais dit d’une gélule connectée prenant la température corporelle qui avait fort impressionné un journaliste de BFM TV:

Nous sommes encore devant l’effet cannabique typique, mais ici particulièrement impressionnant, que les mots « santé connectée », « données biométriques » et « biotech » provoquent chez les non-médecins.

J’ai découvert un peu par hasard, enfin pas tellement, aujourd’hui c’est ma journée #FrenchTech, un financement participatif qui a rencontré un beau succès et semble se situer au milieu d’une plantation de plants de cannabis en feu…

Comme l’objet connecté en question est un défibrillateur, vous comprendrez aisément mon intérêt.

Prenez tranquillement le temps de lire l’article qui en parle et la page Ulule du projet, et revenez me voir après:

Bien installés? On va revoir tout cela en détail.

Le financement participatif a donc, comme je l’ai dit été un succès, puisqu’il a atteint 141% (21170€, quand même).

Le projet, les promoteurs, le pitch, la devise (protecting happiness), le design épuré de l’appareil, le mode de financement, tout est très très très cool.

pitchpitch1pitch3Tout le monde trouve d’ailleurs ce projet merveilleux, innovant, essentiel, tellement #jeunepousse #FrenchTech, #disruptif, et cerise sur le gâteau TV5 Monde soutient ce projet…

fnim(Impressionnant, ce ne sont que des géants de la défibrillation et de la rythmologie mondiale qui en parlent de façon aussi élogieuse)

(Un jeune CEO (et Founder?) à la barbe élégamment négligée en face de Bourdin: trop trop top cool. Le défibrillateur sait si il faut choquer, trop génial, dingue une INVENTION ASSEZ EXTRAORDINAIRE, idée brillante! Ceux qui savent, les défibrillateurs automatiques, ça existe depuis combien? 10, 15 ans environ?)

Je vous ai prévenu, difficile de faire plus cool (si on ne connait strictement rien au sujet).

D’un point de vue scientifique, rien à redire puisque 3 confrères cardiologues cools font partie du comité scientifique. Par ailleurs, les promoteurs comptent bien ne pas s’asseoir sur le cadre réglementaire:

cadreJe me suis demandé l’intérêt de la connexion de l’appareil, heureusement, le pitch de Ulule l’explique parfaitement:

pitch2Enfin, cerise sur le gâteau, l’abonnement à ce service révolutionnaire, j’y reviendrai plus tard, permet d’accéder à une plateforme communautaire cool permettant de lutter contre les facteurs de risque cardio-vasculaires:

pitch5Donc, ce défibrillateur ne sera pas vendu, mais loué. Les promoteurs ont commencé à en parler dans les commentaires:

coutOn peut même envisager cette révolution cool dans les endroits publics, comme une petite copropriété:

coproDescendu de l’intense coolitude que m’a inspirée ce projet, et je ne suis pas le seul, je me suis posé quelques questions.

Peut-on dire que ce défibrillateur est révolutionnaire, car le premier connecté spécifiquement conçu pour le domicile?

Et bien oui. En fait non. En y réfléchissant un peu, oui. Finalement… non.

En fait, tout est dans l’adjectif connecté. Tout repose dessus, et les promoteurs y tiennent comme à leur vie, à cet adjectif, car c’est lui qui fait toute la coolitude du projet. Ce défibrillateur est coolissime, donc un potentiel aimant à capital-risqueurs, car il est le « premier » quelque part. Pas le premier défibrillateur grand public, mais le premier à être connecté! Pour être cool, donc bankable, il faut toujours être premier, même si c’est en quelque chose de totalement non pertinent.

Ils l’ont quand même oublié dans le titre du projet de financement:

defdom(L’assertion est ici clairement trompeuse car il existe des défibrillateurs « grand-public », donc pour le domicile, depuis des années. C’est par conséquence très probablement une coquille…)

Car des défibrillateurs « grand public », il en existe des myriades, il suffit de chercher dans Google Shopping.

ylea(Je n’ai aucun lien avec ce site, que je n’ai jamais utilisé, c’est uniquement pour vous montrer qu’il n’y a nul besoin d’être professionnel de santé pour l’acheter, il suffit d’avoir un numéro…de carte de crédit)

Depuis le décret du 4 mai 2007 (9 ans, déjà…), toute personne est autorisée à s’en servir. Donc ils sont en vente libre, pas besoin d’être médecin. D’ailleurs, ils sont fait pour cela, car, comme ce défibrillateur cool révolutionnaire, ils parlent pour donner les instructions, et cela, ils le font, là aussi, depuis des années.

gdmere(Les défibrillateurs du marché sont faits pour être utilisés par tout le monde, grands-mères et petits-fils compris)

Mais des connectés, je n’en ai pas trouvés.

Mais qu’apporte donc la fameuse connexion? Et bien, un truc qui existe depuis des décennies sur tous les défibrillateurs entièrement automatiques, semi automatiques ou manuels, ça s’appelle l’autotest. Il suffit d’appuyer sur un bouton.

En fait, même pas, car pour le Zoll pris en exemple, l’autotest se fait automatiquement selon une périodicité que l’on peut programmer:

zoll(Je sais que c’est présenté de manière moins cool que sur Ulule et que ne pas avoir de connexion, c’est moins cool aussi, mais je pense que c’est tout aussi efficace, non?)

En résumé, je ne vois pas ce qu’apporte le fait que cet appareil soit connecté par rapport aux autotests qui existent depuis des années et qui maintenant sont automatisés.

Vous allez aussi me dire que le Zoll est plus moche, moins jobsien, moins #CEO, moins #FrenchTech, et vous n’aurez pas tort, il ne ressemble en effet pas à une Box. Après, je pense qu’on peut s’en moquer étant donné que son utilité principale est de sauver des vies, pas d’être beau.

Et la communauté de patients (ou de gens bien-portants mais inquiets) dont l’accès est permis par l’acquisition de cet appareil révolutionnaire? Je vais la faire courte, mais je pense que vous savez comme moi que des communautés de ce type, il y en a des dizaines sur la toile. Mais on peut accorder le bénéfice du doute à la jeune pousse, car comme leur communauté n’existe pas encore, on ne peut qu’imaginer qu’elle sera aussi cool que la présentation du produit.

hero(Trop cool de ne pas mettre de s à héros. Le français, c’est pour les blaireaux pas cools. Mais en anglais, il n’y a pas d’accent non plus…)

Et le prix? Les concepteurs parlent d’environ 30€ par mois, avec un coût initial non précisé. Pour 30€ par mois, on peut acheter le Zoll dont j’ai pris l’exemple en 52 mois, soit 4 ans et 1/3. Le Zoll est garanti 7 ans, pour vous donner une idée de la durée de vie de ces bêtes… Tout dépendra donc du coût initial.

(Cette vidéo date de 2008… Regardez la et ré-écoutez la séquence avec Jean-Jacques, pour en apprécier chaque mot! Sinon le formateur n’est pas top, tant mieux, car si il y arrive, alors tout le monde peut le faire)

Ah oui, au fait, j’oubliais, one more thing

Pour 1546.80€, le Zoll est équipé d’un système permettant de calibrer le massage cardiaque, c’est même probablement à la portée des grands-mères et des petits-fils.

Le premier défibrillateur cool connecté révolutionnaire le fait?

Il paraît que masser, ça peut aussi être utile en cas d’arrêt cardio-circulatoire (plus qu’une connexion wi-fi, en tout cas)

rcpPour un défibrillateur moins cher, il faut compter entre 1000 et 1500€ (3000€, c’est un défibrillateur plaqué or, Jean-Jacques). Est-ce qu’à terme, le coût du défibrillateur connecté sera de cet ordre? J’attends de voir ça avec stupeur et tremblements.

Je le dis, même si c’est une évidence, mais le Zoll, comme je l’imagine tous les défibrillateurs du commerce, ont depuis bien longtemps satisfait à toutes les normes européennes possibles et imaginables (il faudrait demander à Boris Johnson qui en est le grand spécialiste). Donc aucun besoin de financement pour les demander, ces fameuses normes.

Avec les 21170€ récupérés grâce au financement participatif, les promoteurs de ce projet pourraient acheter 13 Zoll bien plus performants que leur machin toujours en développement, une vingtaine en négociant, puis les revendre avec une étiquette cool et un petit bénéfice, ce serait probablement bien plus efficace en terme de santé publique, non?

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emergency-defibrillator(Source)

Petites précisions (utiles).

J’ai beaucoup parlé de Zoll dans cette note, mais je n’ai aucun rapport, financier ou autre avec eux.

Si vous voulez en savoir plus sur les défibrillateurs (je n’ai pas détaillé), je vous conseille de parcourir un site sympa, notamment:

L’ANSM a publié en juin 2014 ce point d’information important sur les « défibrillateurs grand public ».

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One more thing (c’est le second)

Je vous annonce en avant-première la création de ma start-up afin de commercialiser un concept révolutionnaire qui va faire pleurer sa mère, à Bourdin (je parle banlieue, mais ici, à Marseille, c’est cool). Vous n’êtes pas sans savoir que notre cœur bat durant toute notre vie, notamment la nuit, et que si les impulsions électriques qu’il génère s’arrêtent, nous risquons de MOURIR! (donc surtout la NUIT)

J’ai donc décidé de travailler sur un concept d’appareil connecté permettant l’enregistrement permanent du rythme cardiaque. Le recueil des  impulsions se ferait grâce à des électrodes, puis envoyées vers un Cloud puis vers un joli petit boitier épuré que vous pourrez mettre sur votre table de nuit. Si votre cœur s’arrête, retentira une alarme pour vous prévenir (Marimba par défaut)

(Je suis certain que vous avez cherché votre téléphone, sans pouvoir vous en empêcher quand la sonnerie a retenti)

La photo officielle du CEO&Founder:

col-roule(Je fixe entre mes doigts la vacuité actuelle de la #FrenchTech)

Jean-Jacques, j’attends ton coup de fil.

Mouhahahahahahahahaha

La mayonnaise ne prend plus

Je suis tombé sur une autre histoire croquignolesque venue tout droit de la Silicon Valley.

Cette fois, contrairement au scandale Theranos, la vie des gens n’est pas en danger (seulement leur amour propre), nous pouvons donc rire de bon cœur à la farce.

Il était une fois, un jeune et brillant entrepreneur qui-en-voulait, Josh Tetrick  et qui-voulait-changer-le-monde-en-le-rendant-meilleur. Bref, comme Bernadette Soubirous et l’inventeur de la gélule qui prend la température corporelle, il a eu, comme on dit gentiment, une vision.

Sa vision était donc de rendre le monde meilleur en se passant de protéines animales, autrement dit sa religion était le végétalisme.

Loin de se contenter de manger des légumes, il crée sa start-up, Hampton Creek, pour commercialiser des produits sans protéines animales et sans gluten en 2011 et se nomme dans la foulée CEO.

Petit aparté, dans la e-santé franco-française, même si on s’appelle Régis Toutpetivier (les marseillais comprendront), que sa start-up n’emploie que 0.47 ETP, et qu’on a inventé le iDoigts (non encore commercialisé), il est de bon ton de se parer du titre tellement Silicon Valley de CEO. Sinon on est un blaireau. Vous ne me croyez pas?

Si en plus, on est founder, on touche à l’extase masturbatoire.

Those truly inspirational wisdoms come from our CEO and Founder, Régis Toutpetivier.

grange-blanche-ceo

Revenons à notre laine (pas de protéines animales, on a dit).

(on me dit dans l’oreillette que la laine, c’est de la kératine, une protéine, et du suint. Bon OK. Disons alors que c’est de la laine dé-protéinée, sans gluten et sans cholestérol)

Josh Tetrick emprunte 500000 dollars et commence à fabriquer et commercialiser de la mayonnaise sans soja, sans produit laitier, sans œuf, sans lactose, sans cholestérol, sans OGM et sans gluten (je n’invente rien).

Comme dans la Silicon Valley, tout être humain qui se respecte un tant soit peu est à la fois CEO and Founder, et végétalien/allergique au gluten (Elizabeth Holmes ne se nourrit que d’un breuvage vert, habillée d’un pull à col roulé), notre entrepreneur développe sa start-up de manière exponentielle.

celiac(Source)

Son pitch est rodé.

Sa start-up va rendre le monde meilleur en:

  • diminuant la consommation d’eau et les émissions de CO2
  • améliorant la condition animale en faisant disparaître l’élevage
  • améliorant la santé des consommateurs en leur proposant des produits composés de rien de nocif
  • luttant avec courage contre les gros méchants de l’industrie alimentaire (comme pour lui donner raison, ces idiots de Unilever lui ont fait un procès ridicule sur le droit d’utiliser le terme mayo/mayonnaise)
  • promouvant les végétaux non-OGM
  • et enfin, surtout, en le rendant plus cool

Les ventes grimpent, l’argent des investisseurs (les fameux VC) afflue, et sa société est admirée par des gens tous plus cools les uns que les autres:

Un chef très connu prédit  même en 2013 que Josh Tetrick sera Prix Nobel:

Mark my words, HCF founder Josh Tetrick will win a Nobel Prize one day. You heard it here first.

Les articles dithyrambiques pleuvent (une très fine analyse de la cécité constitutionnelle de la presse « tech » et des professionnels de la profession est donnée par cet article de Vanity Fair).

En plus de célébrités en vue, de chefs très connus, Josh peut compter sur une base de fans inconditionnels qui font la promotion de ses produits sur les réseaux sociaux, dans les commentaires des magasins en ligne, et dans la vraie vie en faisant goûter sa mayo aux clients des supermarchés. Il nomme ces fans des Creekers.

Tout va tellement bien pour Josh, que malgré son jeune âge (5 ans), Hampton Creek, est en passe d’accéder au statut enviable d’unicorn (ou licorne pour les blaireaux qui parlent encore français dans le milieu).

Et puis…

Quelqu’un s’est mis à réfléchir par lui même et à creuser l’histoire. Un peu comme John Carreyrou pour Theranos, des journalistes de Bloomberg ont commencé à se poser des questions. En réfléchissant, on trouve, et ils en ont trouvé des vertes et des pas mûres… L’article de Bloomberg est excellent, je l’ai largement paraphrasé.

Pour faire court, Hampton Creek aurait (une enquête du FBI est en cours) demandé à ses Creekers d’acheter à son compte et en toute discrétion des centaines de pots de mayo en supermarché pour gonfler les ventes et ainsi mieux attirer l’argent des investisseurs.

Ces achats, retrouvés sur les livres de compte de la start-up auraient représenté près de 1.4 millions de dollars sur 5 mois en 2014 alors que les ventes de mayo, sur la même période furent de… 1.9 millions de dollars (!).

Les Creekers, tous dévoués à la « cause », ont acheté des kilos de mayo et ont commencé à la stocker après avoir inondé leurs amis, voisins, organismes caritatifs, hôpitaux…

La photo suivante, prise par un Creeker à son domicile, et tirée de l’article de Bloomberg est tout simplement grandiose:

mayo-tableAu début, Hampton Creek leur a présenté ces achats comme des contrôles qualité, puis comme des achats cachés au profit d’un service de restauration souhaitant rester discret…

Autant vous dire que les Creekers, après avoir lu l’article de Bloomberg sont assez remontés…

Ce sont devenus des verts, verts de rage.

Theranos, hampton Creek, un peu la même histoire…

Certains plaisantins se sont faits un plaisir de mêler les deux:

Notre Monde est un peu fou, non? 

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