J’ai été invité aux septièmes rencontres de l’officine pour parler de l’interprofessionnalité, c’est à dire de la relation médecin/pharmacien.
Cette invitation est une lointaine conséquence de la loi permettant aux pharmaciens de réaliser un entretien pharmaceutique dédié aux AVK, loi qui a mis certains confrères dans une rage noire. J’avais alors écrit ce billet, en m’étonnant des interprétations fantaisistes que certains syndicats de médecins faisaient d’un texte somme toute assez simple à lire et à comprendre. Je m´étais même demandé à un moment si il n’y avait pas un tout petit peu de mauvaise foi dans les réactions indignées des syndicats. (On me souffle dans l’oreillette que oui).
Je me suis donc retrouvé sur une estrade entre un conseiller ordinal et le responsable d’un syndicat de pharmaciens ruraux, tous deux très sympathiques.
La suite de la table ronde m’a fait regretter le temps béni où les lois de la Sainte Église régissaient notre existence.
On m’a demandé ce que je pensais de l’interprofessionnalité. Je suis pour, comme je suis contre la guerre et pour que tous les enfants du monde aient à manger dans leurs écuelles.
J’ai aussi tristement constaté que je ne connaissais ni d’Adam ni d’Ève le (les?) pharmacien(s) autour de mon cabinet.
De toute évidence, tout le monde est pour que le médecin et le pharmacien se parlent. Sauf que tout le monde attend que l’ARS finance cela. En dehors d’un Machin (au sens gaullien) financé par l’ARS, point de dialogue possible.
Petit aparté, Les caisses nous ont donné de bien mauvaises habitudes en nous faisant l’aumône pour faire correctement notre boulot. Je dis aumône, non pas pour stigmatiser la faiblesse de la somme, certains confrères augmentant singulièrement leurs revenus, mais pour l’état de servitude que cela implique.
Récemment, la CPAM m’a donné des sous (90€) parce que je soignais des personnes âgées (quel exploit!). Je reçois aussi des sous car je maintiens des coronariens sous statines (toujours plus fort) et que je leur arrête le clopidogrel après 12 mois (cosmique). J’attends avec impatience les 37.52€ de prime d’exactitude, promis si le praticien arrive moins de 3 fois en retard au cabinet sur une période de 12 mois calendaires, ou la prime de 12,34€ de lavage de mains.
Fin de l’aparté.
Vous devez vous demander ce que vient faire là-dedans mon iconoclaste remarque sur la Sainte Église.
Vous allez voir où je veux en venir.
Avant, comprenez dans la France de Simenon (le belge), le médecin et le pharmacien se retrouvaient avec le notaire chaque dimanche sur leurs prie-Dieu (nm invariable: la religion fit se courber la rigide grammaire, vertigineux, n’est-ce pas?) respectifs, au premier rang. Ils allaient ensuite probablement boire un bon vin chez les uns et les autres, non pas la piquette du bar de l’église, réservée aux éleveurs endimanchés. De quoi parlaient-ils? De l’affaire du trafic des piastres? Probablement. Des mirifiques opportunités offertes aux aventuriers partis pour les colonies? Aussi. De la Louise avec sa vilaine toux et sa perte de poids bien inquiétante? Aussi, très probablement.
Bref, bien avant les portables, les réseaux sociaux, les e-mails, la e-santé, What’s-App… Les médecins et les pharmaciens communiquaient apparemment bien mieux pour le bien de leurs patients.
D’où mon idée.
L’ARS et la caisse devraient verser une petite obole aux professionnels de santé qui iraient de nouveau à la messe chaque dimanche (avec une prime de dimanche, bien entendu). On pourrait appeler ça le DTC (Dossier Transversal du Culte). J’ai choisi le terme « dossier » pour l’acronyme, mais les référentiels ARS n’exigeraient même pas de dossier commun (on élimine là une énorme source de difficulté), mais simplement de causer ensemble de patients après la communion, autour d’un verre.
On veut bien se parler, mais faire un dossier pour obtenir une autorisation et un hypothétique financement de l’ARS est long, complexe, et en plus l’ARS n’a plus d’argent, c’est ballot.
C’est même tellement compliqué qu’on doit faire appel à des sociétés de conseils afin de bien ficeler le dossier pour le machin, pour pouvoir à nouveau communiquer.
Considérant ce triste état de fait, mon idée de DTC doit vous sembler moins délirante, non?
Et, me direz-vous, quid des athées (dont je fais partie), des agnostiques, des non-catholiques romains?
C’est en effet un point délicat. On peut faire comme au bon vieux temps, nier l’existence tout ce qui n’est pas qualifié de « normal/traditionnel… »? Ça revient pas mal à la mode… On peut aussi être pragmatique et mettre en place des offices œcuméniques, et se dire que ne pas croire ou croire différemment ne doit pas être un obstacle à l’amélioration de la prise en charge du patient.
Renouer un dialogue de confiance entre médecins et pharmaciens, cela vaut bien une messe, non?
Après la table ronde, sorte de petite messe où le micro remplace le goupillon, nous sommes allés déjeuner, entre pharmaciens et médecins, et ce fut à la fois délicieux et instructif, alors même que nous n’avions aucun patient en commun.
Nous avons fini de retrouver intégralement notre fierté de professionnels de santé lor
sque nous avons payé l’addition avec notre propre argent, pas celui de l’ARS ou de la caisse (INCROYABLE).
Bon, je fais le beau, comme on le dit à Marseille, mais 8 jours après ces fructueuses rencontres, je n’ai toujours pas glissé le doigt sur mon iPhone pour appeler mes pharmaciens et leur proposer de déjeuner ensemble…
Je suis une blatte fainéante.
(Cela va sans dire, mais c’est mieux en le disant, je n’ai aucun regret d’un passé que je n’ai pas connu, hormis en lisant Simenon et encore moins de notre héritage religieux, que je laisse à qui le souhaite.)