SIGNIFY et ivabradine, it’s a Kind Of Magic!

L’ivabradine va encore vous captiver, vous faire tourner la tête, vous éblouir, bref vous donner envie de la prescrire à vos patients.

L’ivabradine est une des vedettes du congrès de l’ESC 2014 grâce à l’étude SIGNIFY.

Cette étude compare l’ivabradine à un placebo chez des patients coronariens stables, non insuffisants cardiaques. J’ai déjà parlé en long et en large de l’ivabradine ici.

Pour résumer, BEAUTIFUL a montré que l’ivabradine n’apportait rien chez le patient porteur d’une coronaropathie et d’une dysfonction ventriculaire gauche.

J’ai déjà pointé plusieurs fois que cette étude négative a été rendue « positive » en mettant sous les projecteurs la positivité de critères secondaires dans un sous groupe et loin en arrière, cachée derrière le rideau sous un seau à Champagne, la négativité du critère principal dans l’ensemble de la population.

beautifulcapital

dailymirrorEt ça, c’est très fort.

It’s a Kind Of Magic…

Autant dire que chez Les Laboratoires Servier, Monsieur Sous-groupe est l’employé du mois du service commercial depuis des années.

beautiful1Ce qui est aussi très fort, c’est que la conclusion de BEAUTIFUL mentionne cette positivité. Retenez ce détail, on en reparlera à la fin de cette note:

Beautiful conclusionSHiFT a montré un (petit) intérêt de l’ivabradine chez le patient insuffisant cardiaque avec FEVG inférieure à 35%, hospitalisé pour insuffisance cardiaque dans les 12 mois précédents.

Cette fois-ci, dans SIGNIFY, l’ivabradine a été testée chez des coronariens stables, mais sans insuffisance cardiaque.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, cette étude a fait parler d’elle en mai-juin 2014 quand l’EMA et l’ANSM ont haussé un sourcil (ici pour l’EMA et ici pour l’ANSM) devant une majoration de la morbi-mortalité d’un sous-groupe de patients sous ivabradine dans SIGNIFY.

Encore un sous-groupe…

Or, en avril 2014, Amgen, qui souhaite commercialiser l’ivabradine aux Etats-Unis a demandé une procédure d’acceptation accélérée auprès de la FDA.

Vous imaginez donc assez aisément les enjeux qui tournent autour de SIGNIFY…

Je vais vous la faire courte, SIGNIFY est une belle étude de 19102 patients, et malheureusement pour les Laboratoires Servier, elle est négative.

En voici la conclusion:

Conclusion SIGNIFYComment cette étude sera rendue « positive »?

Car je n’ai pas de doute qu’elle le sera.

It’s a Kind Of Magic.

J’imagine que la magie opérera, comme chaque fois, sous-tendue par quelques petits astuces de magicien:

  • S’assurer que l’environnement est amical: à la lecture de l’ubiquité de la présence du sponsor de l’étude dans le programme du congrès, et du nombre de grands leaders d’opinion qui participent aux symposia maison, ça, c’est fait.

  • Demander à ces grands noms de la cardiologie française et européenne de minimiser ce résultat, somme toute finalement plutôt positif: posologie utilisée pas usuelle, population pas tout à fait représentative, sous/sur utilisation des bêtabloquants, conjonction lunaire défavorable… En conclusion, on va dire que cette étude n’était pas si bien conçue que cela et qu’il ne faut pas la prendre en compte.

  • Et si on parlait finalement pas trop de SIGNIFY au cours de cette ESC? Il y  plein d’autres trucs sympas, par exemple le LCZ696… Non? Un peu plus de Champagne? Savez-vous que nous allons publier une étude post-hoc inédite de SHiFT? N’en parlez pas, ça reste entre nous… Un petit peu de tapenade?

  • Clamer urbi et orbi que l’étude est positive car elle balaye de façon définitive les inquiétudes totalement infondées des autorités sanitaires puisqu’il n’y a pas de différence de morbi-mortalité entre l’ivabradine et le placebo dans l’ensemble de la population étudiée (19102 patients, quand même). Le rapport bénéfice/risque reste donc largement en faveur de la prescription d’ivabradine à tout le monde.

  • Dans quelques mois, sortira une grande étude post-hoc que commentera un ancien grand nom de la cardiologie parisienne dans le journal d’un grand syndicat de cardiologues: l’ivabradine augmente le nombre de naissances dans le sous-groupe des hommes roux, ayant entre 67,3 ans et 68,2 ans dont la fréquence cardiaque est comprise entre 68 et 70 pour une classe CSS à 2, 65. Il faudra faire (un jour) une étude pour généraliser ces résultats impressionnants à l’ensemble de la population.

On accompagne tout cela par un flot de symposia et d’EPU, et dans 3 semaines, tous les cardiologues se rappelleront de SIGNIFY comme d’une très belle étude positive.

Sauf que, sauf que…

L’analyse des sous-groupes met bien en évidence, comme l’EMA et l’ANSM l’avaient constaté, une sur-morbimortalité dans un sous-groupe, en défaveur de l’ivabradine:

SIGNIFY Sous groupesCe sous-groupe représente tout de même 12049 patients. L’excès de morbi-mortalité est en moyenne de 18%.

Pourquoi, comment, je ne sais pas trop, mais je suis certain d’une chose, c’est que les communicants du labo vont se mettre à trouver tout un tas de défauts à l’analyse en sous-groupes.

Ils vont se mettre à citer du Michel Cucherat dans le texte et des passages entiers de La Revue Prescrire qui  pointent les tas de défauts et les risques de l’analyse en sous-goupes.

D’ailleurs, cela commence dès la conclusion de SIGNIFY qui ne mentionne même pas ce détail mineur à 12049 patients…

Conclusion SIGNIFYCurieux qu’une analyse de sous-groupe positive dans un essai négatif (BEAUTIFUL) soit citée en conclusion, et pas une analyse négative (et inquiétante) dans un essai négatif, non?

Non, It’s a Kind Of Magic!

Maintenant, asseyez-vous confortablement, sortez les cacahouètes, nous allons voir comment va réagir le petit monde de la cardiologie française et européenne à la publication de SIGNIFY.

Je pense que nous allons assister à un beau spectacle de magie et de contorsionnistes.

Encore un autre tour de manège: recos ESC 2012 sur l’insuffisance cardiaque

Un de mes lecteurs (il se reconnaîtra) m’a suggéré de regarder les déclarations publiques d’intérêt des auteurs/relecteurs des recommandations ESC 2012 concernant l’insuffisance cardiaque.

Ces recommandations ont été marquées notamment par l’arrivée de l’ivabradine dans l’arsenal thérapeutique:

ESC 2012 nouv

Je me suis alors demandé quelle était la proportion d’auteurs/relecteurs de ces recommandations qui:

  • primo sont liés financièrement aux laboratoires Servier
  • secundo sont liés financièrement aux laboratoires Servier pour un travail (essai clinique/représentation…) lié à l’ivabradine
  • tertio sont liés à aucun laboratoire

Sur 63 rédacteurs/relecteurs, 24 sont liés financièrement aux laboratoires Servier (38%), 31 sont liés à un laboratoire autre que Servier (49%), et 8 (13%) n’ont aucun lien d’intérêt.

Parmi les 24 auteurs/relecteurs ayant un lien d’intérêt avec Servier, 16 ont été rétribués pour un travail scientifique ou de représentation directement lié à l’ivabradine, ce qui représente 25% de la totalité des auteurs/relecteurs.

ESC 2012 2

Rigolo, non?

Comment peut-on avoir confiance en des recommandations rédigées et relues par des experts ayant de tels liens d’intérêt?

A ce niveau, l’argument (discutable) que les seuls bons experts sont ceux qui ont des liens avec l’industrie ne tient même plus.

Comment ne pas sourire et réfléchir en relisant le communiqué victorieux publié par les laboratoires Servier à la suite de la sortie de ces recommandations?

Qui recommande quoi?

On ne sait même plus.

esc2012munichCongrès ESC 2012

sfcCongrès SFC 2013

°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°

Le fichier Excel 2007 utilisé pour colliger ces données est ici.

Je n’ai pas fait de distinction entre les types de liens d’intérêt (personnels/institutionnels). On pourrait aussi faire le même travail avec les fabricants de stimulateurs/défibrillateurs.

The Wonder Pill (2)

Il y a vraiment un truc que j’aime pas, c’est de ne pas trouver une info, notamment sur internet.

Depuis tout à l’heure, aussi un peu aiguillonné par @GastonCestBon, j’essaye de trouver l’origine des statistiques brillantes avancées par Cowie dans cet article.

J’ai écumé PubMed, sans succès.

Puis, à force de tourner autour du pot (de torturer Google), je suis tombé là-dessus:

Je n’arrive pas à afficher la page de l’article de theheart.org en tant que cache, mais il semble bien qu’une première version ait été publiée, puis éditée.

Mais Big Google qui passait par là en a gardé un souvenir. Concentrons-nous sur le cinquième paragraphe de l’article actuel:

« The regulator decided it wanted to concentrate on mortality benefit. Within that subsection, the benefits are enormous, » he observes. « Total mortality is reduced by 17%, heart-failure mortality is down by 39%, and that’s on top of really good ACE-inhibitor and beta-blocker therapy. It’s very impressive. That’s what’s caught the media’s attention. »

D’accord?

Maintenant, regardons le fragment donné par le cache de Google:

« I know it’s post hoc, but total mortality is reduced by 17%, heart-failure mortality is down by 39%, and that’s on top of really good ACE-inhibitor and beta-blocker therapy.

Rigolo, non?

I know it’s post hoc, but a été supprimé.

En torturant encore un peu plus le cache Google, je trouve que ce petit bout de phrase était placé entre he observes et Total mortality:

Je n’en tire strictement conclusion sur la rédaction de l’article qui me semble de toute façon très discutable. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.

Par contre, les mystérieuses statistiques ont été tirées d’une analyse post hoc. Et ça, c’est intéressant.

Primo, car je ne suis pas certain que cette analyse ait été publiée. Je parierais volontiers sur l’analyse d’un sous-groupe basé sur la fréquence cardiaque de repos initiale, genre FC>75 ou FC>77. Bien entendu, ce critère exclurait de facto une bonne partie (la majeure selon ce papier que j’ai déjà cité) des centaines de milliers de patients qui auraient pu bénéficier de ces 17 et 39% de diminution de mortalité. Donc l’estimation de 39000 vies épargnées et de 100 millions de livres sterling économisées par an, me semble parfaitement fantaisiste.

Secundo, car dans mon esprit, il s’agit d’une grosse restriction dans l’interprétation des résultats.

Le service commercial de Servier est friand des analyses post-hoc, j’en avais déjà parlé ici.

En gros, ré-assembler un essai clinique après sa réalisation, c’est à dire analyser des sous groupes qui n’ont même pas forcément été pré-spécifiés dans le plan de l’étude n’a qu’une valeur exploratoire qui demande confirmation.

C’est ce que dit ma référence en statistiques

Les analyses en sous-groupes décidées après le recueil des données sont des analyses « post-hoc » dont la valeur est purement exploratoire : l’expérience servant au recueil des données a eu un autre objectif que celui de l’analyse en sous groupe ; aucune hypothèse préalable n’a été formulée; aucun calcul de nombre de sujets nécessaires n’a été réalisé pour garantir une puissance suffisante. Le problème méthodologique provient du fait que les analyses « post-hoc » génèrent à la fois l’hypothèse et la vérification de l’hypothèse. Cette situation tautologique ne peut pas être utilisée comme preuve mais seulement pour générer de nouvelles hypothèses. Les analyses exploratoires exposent ainsi au risque d’ériger un artefact en loi. Il convient ainsi de faire la distinction entre les hypothèses formulées a priori (« prior hypothesis » et les hypothèses dérivées des données (« data-derived hypothesis »). Il est souhaitable de ne pas calculer de valeur de p pour les hypothèses non définies a priori car en général ces valeurs de p ne sont pas retrouvées quand l’hypothèse est testée de façon indépendante dans une autre étude. La définition a priori, dans le protocole de l’essai, des analyses en sous-groupes pressenties ne suppriment que partiellement ces réserves méthodologiques. La multiplication des tests persiste.

La formulation I know it’s… montre bien que Cowie, qui est un garçon brillant, a parfaitement conscience de ces limitations.

Malgré tout cela, Servier a, comme toujours, réussi à faire qu’un résultat médiocre, voire même une étude négative (comme Beautiful), soit magnifiquement montés en épingle par les médias, qu’ils soient médicaux ou non.

Et là dessus, ils sont brillamment imbattables.

Encore une chose.

Quand j’ai écrit ma note précédente, je disais que cette histoire ne nous concernait pas tellement, car elle se déroulait en Grande-Bretagne.

Et bien depuis, elle a traversé la Manche, et vient susurrer suavement à nos oreilles combien l’ivabradine est un produit merveilleux.

Vous remarquerez les sigles NHS en haut de l’article et dans le titre.

Curieux…

Ça laisserait presque à penser que cette vénérable institution cautionne le texte dithyrambique de l’article.

Je doute néanmoins que le NHS relaye les gros titres de médiocres médias britannique annonçant la venue sur terre d’une nouvelle panacée.

D’ailleurs, une rapide recherche sur le site du NHS ramène un in progress

Je vous l’avais dit, Servier, c’est magique…

The Wonder Pill

La magie Servier a encore opéré.

Cet article de theheart.org rapporte les articles enthousiastes de la presse britannique sur l’ivabradine qui permettrait de sauver des milliers de vies de patients insuffisants cardiaques.

L’article de theheart.org est un chef d’œuvre en son genre.

Tout y est, absolument tout.

La journaliste a interrogé deux personnes, pas trois.

La première est le brillant Martin Cowie qui est un Servier-Boy (Cowie was the UK principal investigator for SHIFT and has consulted with Servier on an economic analysis of ivabradine.). La seconde, Alison Philipps est une Servier-Girl (Servier spokesperson).

Déjà, nous sommes certains que l’article sera objectif.

Du vrai bon journalisme!

Theheart.org se rapproche du niveau de Cardiologie Pratique.

Au passage, on apprend que Cowie est actuellement à la tête de la British Society for Heart Failure (Cowie—who is the current chair of the British Society for Heart Failure[…]).

On pourrait crier au conflit d’intérêt, mais en fait, non. Si il fut à la tête de cette société de 2007 à 2009, comme indiqué ici, la Chair actuelle est une charmante dame qui fait très anglaise, Suzanna Hardman. Cette erreur est finalement la moins délétère de cet horrible article de theheart.org.

Les liens renvoient vers des articles d’une presse anglaise de médiocre niveau, mais qui est néanmoins très lue. J’y ai rajouté un article du Daily Mirror, trouvé via Google:

Le Daily Express se lance dans une fine analyse statistique et économique:

Heart failure kills around 100,000 people each year and many patients find they are admitted to hospital time and again because of their symptoms. Yet trials have shown that Procoralan slashes the number of deaths by 39 per cent, suggesting that 39,000 lives could be saved. It also cuts hospital admissions by 24 per cent which is set to significantly reduce the £625million a year in healthcare costs that heart failure amounts to for the NHS – a possible annual saving of more than £100million.

Diable, 39000 vies sauvées par an, rien qu’en Grande-Bretagne…

J’avais bien regardé d’un peu plus près SHifT, mais je n’ai aucun souvenir d’un effet aussi miraculeux.

D’un autre côté, faut-il s’offusquer de toute cette exagération médiatique?

En effet, outre qu’elle se déroule outre-Manche, un spécialiste de l’insuffisance cardiaque nous rassure et précise:

[…]for the most part, he believes the UK media reports of the subject are reasonable. « Some have reported it in less sensational terms than the others, but the coverage has been pretty much factually correct, » he says.

Qui a dit ça?

Et bien, c’est…Cowie.

Je suis rassuré.

Ce dernier se lâche carrément dans l’article de theheart.org:

« The regulator decided it wanted to concentrate on mortality benefit. Within that subsection, the benefits are enormous, » he observes. « Total mortality is reduced by 17%, heart-failure mortality is down by 39%, and that’s on top of really good ACE-inhibitor and beta-blocker therapy. It’s very impressive. That’s what’s caught the media’s attention. »

Enormous, c’est un adjectif so Servier…

D’où viennent ces statistiques miraculeuses?

Et bien, c’est un grand mystère pour moi.

Les articles parlent bien de SHifT, mais je ne lis pas du tout les mêmes résultats dans l’article du Lancet:

Je lis que:

  • La mortalité totale (All Cause Mortality) a un HR à 0.90, soit une réduction moyenne de ce critère de 10% (1-0.9), non significative puisque p=0.092.
  • La mortalité par insuffisance cardiaque (Death from Heart Failure) a un HR à 0.74, soit une réduction moyenne de ce critère de 26%, significative puisque p=0.014.

Pas du tout les mêmes chiffres, donc.

D’où Cowie les sort ? D’un sous-groupe de SHIfFT ? A-t-il torturé les données ?

Cowie passe aussi pudiquement sur le fait que ces deux critères étaient des critères secondaires.

Il a aussi bizarrement oublié de citer ce travail d’une bonne équipe britannique, qui a été pourtant publié récemment.

Il n’a pas dû le voir passer. Le scotome, peut-être un autre trouble visuel lié à l’ivabradine?

Ah, oui, one more thing, en parlant de Wonder Pill, une récente méta-analyse chinoise semble indiquer que la trimétazidine pourrait avoir un intérêt dans l’insuffisance cardiaque. A suivre…