Toute personne majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite, appelée « directives anticipées », afin de préciser ses souhaits quant à sa fin de vie, prévoyant ainsi l’hypothèse où elle ne serait pas, à ce moment-là, en capacité d’exprimer sa volonté.
Les directives anticipées, c’est compliqué…
Pas tellement d’un point de vue législatif, le texte est clair, mais d’un point de vue pratique. Le point qui me semble le plus épineux est de savoir à qui en parler. Logiquement, à tout le monde (Toute personne majeure…), mais je trouve compliqué d’en parler à un patient qui sort d’une intervention lourde ou d’un syndrome coronarien. Difficile d’évoquer sa propre mort à quelqu’un qui l’a frôlée ou du moins qui a eu l’impression de le faire.
Pourtant c’est justement à ces patients qu’il faudrait le plus en parler. Bien sûr, le livret d’accueil comporte une notice d’information sur les directives anticipées, mais qui lit méticuleusement ce pavé à l’admission dans un établissement de soins? Les mêmes qui lisent l’intégralité des conditions d’utilisation d’iTunes?
Il y a quelques temps, j’ai été confronté à une difficulté qui n’est pas sans rappeler l’histoire du porte-manteau de Jean Léonetti:
Il y a l’histoire du porte-manteau. Il s’agit d’un monsieur qui n’a plus qu’un poumon et qui, un jour, fait une très mauvaise grippe et se retrouve en détresse respiratoire, n’arrivant plus à respirer. Il arrive à l’hôpital, ne pouvant respirer il ne peut pas parler. Les réanimateurs le prennent en charge, le mettent sous machine. Avec l’aide de l’assistance respiratoire et des médicaments contre la grippe, le malade guérit. Le médecin triomphant veut, bien sûr, s’attribuer la victoire et vient voir le malade en lui disant : « Vous vous en êtes bien tiré ! », sous-entendu : « Je vous ai sauvé la vie ». Et le malade lui répond : « Je m’en suis d’autant mieux tiré que dans ma veste accroché au porte-manteau qui était en face de moi pendant que vous me réanimiez, il y avait un papier indiquant qu’il ne fallait pas me réanimer ». Oui, mais imaginez le même malade avec le poumon restant envahi par le cancer, aurait-il fallu le réanimer et le mettre sous respirateur ? Probablement pas.
(Source)
J’ai pris en charge une dame bien sympathique, âgée de soixante-dix ans environ, condamnée unanimement à court terme par l’ensemble du corps médical depuis son premier souffle. On a dit à ses parents qu’elle ne survivrait pas, puis on lui a interdit le sport pour ne pas abréger ses quelques derniers mois, puis on lui a interdit d’avoir des enfants, puis on lui a conseillé de ne pas trop jouer avec ses petits enfants, toujours pour la même raison…
Elle est toujours là, l’œil vif et bienveillant, notamment devant les externes qui ne manquent jamais de faire un pèlerinage devant ses stigmates quasi miraculeux.
On peut dire que la mort a toujours fait partie de sa vie, cela ne l’a pas empêchée d’être aussi heureuse que quiconque.
A ma dernière visite, une dizaine de jours après son admission, nous avons parlé de sa possible mort, un peu par hasard, au décours d’une conversation badine. Elle m’a alors appris qu’elle avait rédigé ses directives anticipées et m’a tendu un beau texte rédigé sur papier libre, sorti comme par enchantement d’une pochette cartonnée. Je me suis alors rappelé l’anecdote du porte-manteau.
Des directives anticipées gardées par devers soi restent lettre-morte, pardonnez-moi le jeu de mo(r)t.
Il faut donc en parler, c’est une nécessité à la fois pour le médecin mais aussi et surtout pour le patient.