29 mai 1935

Finalement, je ne m’ennuie pas une minute en lisant la biographie de Mao par Alain Roux.

Je pensais me noyer dans la dialectique communiste et les luttes byzantines au sein du PCC, mais l’auteur passe élégamment dessus.

J’en suis à la fin de l’année 37, quelques mois après le début de la seconde guerre sino-japonaise, au cours de laquelle le Kuomintang de Tchang Kaï-chek et les communistes, bien qu’en théorie alliés contre les japonais, vont jouer chacun de leur côté un marché de dupe pour faire affaiblir l’autre par les envahisseurs nippons.

Toute l’histoire initiale du PCC est jalonnée par un constant jeu de dupes où son développement et ses victoires militaires ont été en grande partie rendus possibles par la mésentente entre ses adversaires.

Deuxième facteur qui a permis l’extraordinaire réussite du PCC, la transformation de ces victoires, gagnées parfois par défaut, mais parfois aussi du fait d’un véritable talent militaire (notamment par l’utilisation brillante de la guérilla en terrain accidenté) en une épopée révolutionnaire mythique qui va galvaniser les foules (jusqu’à chez nous dans les années 60-70 mouarfffff).

L’exemple typique est la prise du pont de Luding le 29 mai 1935, au cours de la Longue Marche.

Ce pont construit au début du XVIIIème, pour traverser la rivière Dadu, était tenu par un seigneur de la guerre allié (en théorie) au Kuomintang.

Or ce pont bloquait la traversée de l’Armée Rouge. Vingt-deux éclaireurs de cette dernière ont capturé ce pont au cours d’une bataille épique magnifiée par de nombreuses représentations et de nombreux films dont je n’ai malheureusement trouvé que cette tristounette animation 3D:

Comme les soldats du seigneur de la guerre avaient retiré les planches en bois, du pont ou mis le feu à celles qui restaient, les éclaireurs de l’Armée Rouge se sont tractés sur les chaînes et ont enlevé la position à force de courage et d’abnégation.

Mao en a d’ailleurs fait un poème en 1935:

The Red Army is not afraid of hardship on the march,the long march.

Ten Thousand waters and a thousand mountains are nothing.

The five Sierras mender like small waves,

the summits of Wumeng pour on the plain like balls

of clay.

Cliffs under clouds are warm and washed below by the River

Gold Sand.

Iron chains are cold, reaching over the Dadu River.

The far snows of Minshan only make us happy

and when the army pushes through, we all laugh.

(Cité dans: The Poems of Mao Zetong.  Trad: Willis Barnstone. University of California Press. 2008.)


Ça, c’est l’histoire officielle.

La « vraie » histoire » est difficile à rétablir, car tous les protagonistes sont morts et vivants, ils n’avaient pas trop intérêt à déboulonner le mythe.

Actuellement, il existe deux hypothèses « historiques »:

  • le seigneur de guerre a gentiment laissé passé l’armée rouge pour se débarrasser d’elle, et lui permettre d’entrer dans le territoire d’un autre seigneur de la guerre, et par la même occasion éviter que les armées de l’encombrant Tchang Kaï-chek déboulent et viennent contrecarrer ses « affaires » (trafic d’opium et rançonnage des voyageurs). Il est possible que Tchang Kaï-chek ait lui même favorisé ce passage, en se servant des communistes comme d’un alibi pour justement mettre la main sur les multiples territoires tenus par des seigneurs de la guerre locaux, qui échappaient ainsi à son pouvoir.


  • Il y a eu en effet une petite escarmouche vite conclue par la fuite des soldats tenant le pont. Mao appelait d’ailleurs en général ce type de soldats les « soldats à deux tubes »: celui de leur fusil, et celui de leur pipe à opium.

Zbigniew Brzezinski, une source diplomatique américaine rapporte ainsi la remarque suivante de Deng Xiaping sur cet évènement particulier au cours d’une conférence faite à Stanford en 2005 (page 3):

“Well, that’s the way it’s presented in our propaganda. We needed that to express the fighting spirit of our forces. In fact, it was a very easy military operation. There wasn’t really much to it. The other side were just some troops of the warlord who were armed with old muskets and it really wasn’t that much of a feat, but we felt we had to dramatize it.”

Bon, je vous laisse, je vais poursuivre mon éducation maoïste!


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Sur Youtube, je suis tombé sur ce documentaire en 9 parties, fait par je sais pas trop qui, mais qui retrace les épisodes de la Longue Marche, et notamment la prise du pont de Luding.

Je vais me chercher du pop-corn à la tomate.

Mao, poète.

La main levée dans un adieu, je me mets en route.

Les regards désolés que nous échangeons aggravent notre amertume.

La tension dans tes yeux et tes sourcils

Montre que tu retiens des larmes brûlantes.

Je sais que tu as mal compris nos dernières conversations.

Nous nageons dans les nuages et le brouillard, alors même que nous croyions nous connaître mieux

[que personne.

Quand on souffre autant, le Ciel en est-il conscient?

En cette aube, le chemin givré vers la porte de l’Est

Le reflet de la lune pâlissante et de la moitié du ciel dans notre étang

Font l’un et l’autre écho à notre désolation.

Le sifflement du train me transperce.

Désormais, je serai seul partout.

Je te supplie de trancher ce nœud d’émotions.

Je voudrais être moi-même un voyageur sans racines

Que ne touchent plus les confidences des amants. Les montagnes vont bientôt s’effondrer.

[Des nuages filent dans le ciel.


Cité dans « Le Singe et le Tigre. Mao, un destin chinois » de Alain Roux. Éditions Larousse. Page 135.


Ce beau et touchant poème écrit en décembre 1923 pour sa seconde femme, Yang Kaihui, donne une image assez étonnante de Mao, qui sans être un fin lettré, avait une solide culture classique et a écrit de nombreux poèmes. A cette époque, le couple de Mao traversait des moments difficiles car son activité politique grandissante le tenait le plus souvent éloigné de son foyer.

Lectures

Ça fait bien longtemps que je n’ai rien écrit sur mes lectures.

Et pour cause, je ne lis presque plus…

Travailler, s’occuper de sa famille, tenir un blog, courir les banques pour obtenir un prêt…

Il me faudrait deux-trois heures de plus par jour pour pouvoir lire tranquillement, l’esprit reposé.

D’un autre côté, ce doit être une (longue) période sans, tant je cale avec tous les bouquins que je lis et relis.

Ce matin, comme souvent, j’ai pris une décision très paradoxale en achetant une monumentale biographie de Mao, « Le Singe et le Tigre. Mao, un destin chinois » de Alain Roux: 896 pages, 198 pages de notes…

L’introduction est très bien, dynamique et pas empesée du tout.

J’ai quand même un peu peur de me perdre dans les méandres des luttes byzantines au sein du PCC…

Qui lira, verra!

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Le Président Mao, en route pour Anyuan. Liu Chunhua. 1969

Kim

Au mépris des règlements municipaux, il était monté à califourchon sur Zam-Zammah, ce canon qui trône sur la plate-forme de brique située face au vieil Ajaib-Gher, la Maison des Merveilles, selon l’appellation donnée par les indigènes au musée de Lahore. Qui détient Zam-Zammah, ce « dragon qui crache le feu », détient le Pendjab, car la grosse pièce d’artillerie vert bronze occupe toujours la première place dans le butin du conquérant.


Les premières phrases de Kim de Rudyard Kipling plongent d’emblée le lecteur dans L’Inde victorienne chère à l’auteur du « Livre de la Jungle ».

Je viens de commencer, et c’est un vrai plaisir.

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Stockholm a aussi beaucoup apprécié ce roman, si j’en crois cette très ancienne note exhumée par Google 😉 .