Aliskiren (suite)

Sur le bureau commun, une grande publicité à la une de l’immense revue scientifique « Cardiologie Pratique » a attiré mon attention.

Le produit vanté par cet encart est le Rasilez® (l’aliskiren en DCI).

J’en avais déjà parlé ici puisqu’un grand monsieur de la cardiologie française l’avait déjà encensé dans un article de l’autre grande revue scientifique française, « Paris-Match ».

D’ailleurs, c’est assez drôle, puisque lorsque l’on tape « aliskiren publicité » (sans les «  ») dans Google Images, on obtient cela, avec la binette du monsieur en premier résultat.

L’image d’illustration de l’encart publicitaire me semble être typique d’un acte manqué.

Un homme au corps argenté d’athlète m’évoquant irrésistiblement un T1000 part sur la droite à grandes foulées. Il exprime la puissance. En fait, son pied gauche s’arrache avec difficulté d’une colonne de mercure d’un tensiomètre (on comprend alors qu’il est fait de mercure). Je dis « avec difficulté » parce que malgré sa puissance apparente, son talon est toujours retenu par le métal liquide. Si il était si puissant que cela, il se serait déjà détaché, non?

Je ne vais pas faire d’exégèses sur talon/talon d’Achille/Achille Talon.

Par contre, le fait qu’il ne soit pas arrivé à se décoller du tensiomètre me semble être significatif. J’imagine l’image d’après, toujours retenu par le talon, il se vautre lamentablement par terre dans un grand éclat de mercure (métal cancérigène, je vous le rappelle) .

Sans savoir ce que c’est, l’image ne donne pas envie de prescrire. Je pense en fait que les graphistes qui ont pondu cela connaissaient l’efficacité réelle du médicament.

Note pour le service marketing, ne plus dire aux graphistes si le médicament vanté est efficace ou pas.

Maintenant, j’avoue que cette publicité et la relecture de l’article dans Paris-Match m’ont donné envie d’écrire une nouvelle note factuelle sur l’aliskiren. Mais j’avoue aussi que la perspective de relire tous les articles princeps, la méta-analyse de  Cochrane et l’article de Prescrire (Rev Prescrire 2007:27(290):885-888.) sur ce produit ne m’enchantait pas du tout, mais alors, pas du tout.

C’est alors qu’une petite astérisque dans le titre de la publicité: « Traitement de l’hypertension artérielle essentielle de seconde intention* » a sauvé ma fin de semaine.

Je me réfère à la note en bas de page pointée par *:

« Place dans la stratégie thérapeutique: en l’absence de démonstration d’un bénéfice en terme de réduction de morbi-mortalité, (Avis de la commission de la Transparence du 6 février 2008). »

En fait, beaucoup de médicaments, même cardio-vasculaires, n’ont démontré aucun bénéfice sur la morbi-mortalité, mais ils sont prescrits pour leur effet sur des critères intermédiaires, comme la tension artérielle, le LDL…

Mais quitte à prescrire une molécule, autant qu’elle ait un bénéfice prouvé sur le patient, ou au pire qu’elle ait une antériorité suffisante pour que sa balance bénéfice/risque soit parfaitement connue.

Enfin, la HAS a édité très récemment un guide du bon usage du médicament avec pour titre: « Quelle place pour l’aliskiren (Rasilez®) dans le traitement antihypertenseur ? » et dont les conclusions sont loin d’être enthousiastes puisqu’il affuble l’aliskiren du peu glorieux « ASMR V » pour un surcoût loin d’être négligeable par rapport aux molécules de référence.

Prenez une grande inspiration, relisez l’article de Paris-Match, la publicité, et méditez ces « En l’absence d’un bénéfice en terme de réduction de morbi-mortalité » et « L’aliskiren n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu« .

Puis rigolez-en (ou pleurez-en, c’est selon)

Ce traitement fait baisser la tension artérielle, d’accord.

Mais il ne diminue ni la mortalité, ni la morbidité et a des effets secondaires. Aucune chance en l’état actuel des choses, que je l’inscrive sur une ordonnance.

Ite, Missa est.



Modifications 18h30: modifications stylistiques, correction des fautes, et ajout de la référence HAS.

11 Replies to “Aliskiren (suite)”

  1. La question reste pourquoi à un médicament avec ASMR V on donne une AMM avec un prix élevé? C’est là le scandale, le reste c’est du business de l’industrie.
    Il faut des études avec cette drogue pour savoir si elle a un intérêt quelconque à la place de nos chers IEC génériqués.
    Je les vois déjà arriver en consultation switché du ramipril pour du bon rasilez par le cardiologue, le MG ou le néphrologue ayant bénéficié de la visite amicale, zut médical. Chaque fois qu’il y a une nouvelle molécule c’est la même histoire que le patient soit mal ou bien équilibré. Interdisons la visite médicale, sainte roselyne priez pour nous pauvre pêcheur

  2. Je ne comprends pas… je suis peut-être une bébé docteur naïve, mais il y a un truc qui me perturbe:
    – Comment un médicament qui fait baisser la tension peut n’avoir aucune influence sur la morbi/mortalité?

    1. La TA est un critère intermédiaire, ce n’est qu’un facteur de risque. Imaginez simplement que le médicament fasse déprimer et que les gens se suicident plus que ce vous éviter de morts d’origine cardiovasculaire. Vous faites baisser la tension artérielle mais il y a plus de mort dans le groupe traité. La littérature médicale fourmille d’exemples de ce type, parmi les récents les glitazones et l’insuffisance cardiaque plus ou moins les IDM, les inhibiteurs de CEPT (augmentation du HDL) et la mortalité cardiovasculaire. Certains effets secondaires dangereux en particulier les toxicités hépatiques ou rénales ne se démasquent qu’après des essais bien menés s’intéressant à la mortalité.
      Baisser la TA, le LDL cholestérol c’est bien, montrez qu’on prévient la mort des gens c’est mieux.
      J’espère avoir été clair dans mon biberon réponse pour bébé doc 😉

    2. Tout est une histoire de syllogisme.
      « Un paramètre A bas fait baisser la mortalité »
      « Un médicament B fait baisser A »
      « Donc B fait baisser la mortalité »

      Ça parait logique, mais ce n’est pas vrai à chaque fois.
      L’exemple ultra-classique en cardiologie est CAST
      En post-infarctus, les gens meurent d’arythmie.
      Donc un traitement antiarythmique devrait diminuer la mortalité.
      La flécaine est un antiarythmique.
      Mais CAST a montré que la flécaine augmentait la mortalité en post-infarctus.

      Autre chose.
      « Comment un médicament qui fait baisser la tension peut n’avoir aucune influence sur la morbi/mortalité? »
      Stéphane a donné une partie de la réponse. Une autre est qu’aucune étude n’a été faite pour le démontrer. Il est en effet beaucoup plus difficile (donc cher) de montrer un intérêt sur un critère « dur » comme la morbi-mortalité que de le faire sur un critère intermédiaire « mou ».
      Il est possible que l’aliskiren soit bénéfique pour nos patients (je parle d’un vrai bénéfice), mais pour l’instant personne ne le sait. C’est donc un pari que je ne suis pas prêt à prendre étant donné l’enjeu.

      1. La classe, 2 « profs » pour moi toute seule 😉 Merci!
        (D’ailleurs je commente peu, mais la lecture de vos blogs est une source des découvertes et mises au point médicales fort agréable)

        Stephane: Le biberon est extrêmement parlant sur le début, nettement plus obscur par la suite car je viens d’un coin de francophonie non-française où certaines abréviations sont inconnues au bataillon (ce qui donne des résultats souvent cocasses avec google, mais peu explicatifs. Ainsi donc je doute que IDM soit « Internet Download Manager » et CEPT « conférence européenne des postes et télécommunications »).

        Lawrence: C’est fort contrariant, cette apparence trompeuse de logique, et (pire) ce n’est pas la première fois que je me fais avoir!

    1. Suisse (franco-suisse en fait, mais mes abréviations sont purement helvétiques).
      Infarctus du myocarde c’est IMA ici, avec A pour aigu ce qui est stupide puisque les infarctus du myocarde chroniques n’existent pas!
      Quand à CETP, jamais entendu parlé, abrégé ou non :S Enfin si défunt et plein d’effets secondaires, c’est pas une grande perte!

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